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Ce local administratif n’avait rien de revêche ni de maussade, pas plus que la physionomie du propriétaire. C’est un petit pavillon bâti dans un jardin, à l’abri de la maison familiale des Kamel. Une jolie lumière blonde filtrait à travers les stores baissés, et il y faisait même frais, malgré la chaleur déjà vive. Dès l’entrée, je fus conquis par la gaîté ensoleillée de la pièce et la parfaite bonne grâce du maître. Pourtant, l’aspect de celui-ci m’avait causé une profonde surprise. Certes je ne m’imaginais pas d’avance le chef de la Jeune-Egypte sous les espèces d’un sheik à barbe blanche. Mais je m’attendais à trouver un homme d’âge mûr, grave et calme, comme le sont d’ordinaire les Musulmans de la haute classe. Et voilà que je me trouvais devant un tout jeune homme, presque un enfant, dont l’exubérance et la vivacité d’allures me frappèrent d’abord. Mustafa Kamel avait alors trente-deux ans, mais il n’en marquait pas plus de vingt ou vingt-cinq. Petit, grêle, le teint pâle et maladif, déjà touché sans doute par la phtisie qui devait l’emporter, les yeux très doux, une fine moustache d’adolescent, il donnait l’impression d’un être extrêmement délicat et nerveux. Avec cela, un pur type d’Egyptien : le nez arrondi et un peu gros, les lèvres d’une épaisseur toute pharaonique. Ainsi fait, il offrait l’image accomplie du jeune effendi cairote. Les étudians de là-bas devaient se reconnaître et se chérir en Mustafa Kamel, qui fut vraiment, comme on se plaisait à l’appeler, et dans toute la plénitude de l’expression, l’Enfant de la Patrie.

Le plus étonnant, c’est que, de ce corps fluet, il s’échappait une voix de basse formidable, une véritable voix de tribune, qui éveillait des échos jusqu’au fond des corridors. Mustafa était né orateur. Je m’en aperçus dès les premières phrases que nous échangeâmes. Il me parlait de Mme Adam qui nous avait mis en rapports et qui, dès ses débuts, l’avait encouragé dans sa campagne, l’avait généreusement aidé, en toute circonstance, de sa plume et de son crédit. Il nourrissait pour elle une affection filiale qui ne s’est jamais démentie. Il me parlait encore de ses études de droit terminées à Toulouse, où il prononça sa première conférence : puis, de ses voyages à l’étranger, spécialement à Paris, où il séjournait tous les ans. Nous avions des connaissances communes parmi les littérateurs, les hommes politiques, les journalistes français. Mustafa se prévalait assez