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critique. Les espérances des gens trop pressés qui prennent leurs désirs pour des réalités, et aussi Les illusions d’amour-propre des Orientaux eux-mêmes la rendaient peut-être nécessaire. En somme, si l’on néglige ces espérances el ces illusions, cela revient à dire à ces modernes Musulmans : « Vous n’êtes ni des Européens ni ce que nous entendons par des civilisés. » A quoi ils peuvent répondre, — et quelques-uns m’ont effectivement répondu : « Vous vous moquez de nous avec votre civilisation, que vous appelez orgueilleusement la Civilisation par une majuscule, la seule, l’unique ! Mais nous en avons une qui vaut bien la vôtre, qui est plus ancienne, qui a même aidé et préparé la vôtre. Nous avons nos littératures, nos poèmes et nos chants auxquels vous ne comprenez rien, pas plus que nous ne comprenons vos poètes, vos romanciers et vos musiciens. Nous avons un art qui a couvert de ses monumens l’Afrique, l’Asie et même votre Europe. Nos mosquées, nos alhambras et nos alcazars valent bien vos palais et vos cathédrales. Nous avons comme vous nos savans, nos historiens, nos juristes, nos commentateurs et nos théologiens, tout un peuple intellectuel, tout un monde ignoré de la plupart d’entre vous et où vos érudits ne pénètrent qu’à tâtons. Notre passé n’est pas moins glorieux que le vôtre, et il est plus passionnant pour nous. Que nous font vos Charlemagne, vos Charles-Quint et vos Louis XIV ? On croirait vraiment, à vous entendre, que l’histoire universelle gravite autour des annales de vos petits pays ! Enfin nous avons une façon de vivre, de penser et de sentir, qui nous paraît excellente, que nous n’avons ni le goût ni l’envie de troquer contre vos usages, votre médiocre confort, vos logiques pédantes, vos rhétoriques et vos esthétiques de décadens. Nous ne voulons de vous que vos sciences, parce qu’elles sont une arme. Pour le reste, nous prétendons demeurer nous-mêmes. Cette assimilation que vous poursuivez en Algérie, elle serait un crime, si elle n’était d’abord une impossible absurdité. Nous vous prendrons tout ce qui nous est utile, mais nous garderons intacts nos cerveaux et nos cœurs ! »

Malgré toute la bonne volonté, c’est pourtant à cette contradiction violente qu’aboutissent nos efforts de rapprochement et de pénétration intellectuelle. Je me garderais bien d’en conclure quoi que ce fût. Je constate simplement ce qui est. Or, à l’heure présente, l’instruction moderne est, chez ces élites musulmanes,