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quand nous partîmes et qui demandait au cocher la huitième place qui lui restait. Lorsqu’elle l’eut obtenue, elle nous conta son histoire qui est assez bizarre. Elle nous dit que… »

Et le manuscrit s’arrête là. C’est hasard. Mais le hasard est bien spirituel. Sterne, volontairement, n’aurait pas mieux fini. Il était écrit qu’il n’y aurait qu’une anecdote dans le journal de voyage de Claude Perrault et que cette anecdote nous ne la connaîtrions jamais. Le manuscrit finit très bien.

Claude Perrault continua sa très glorieuse carrière en traduisant Vitruve, sur le commandement de Colbert (1673, avec planches). Il vécut jusqu’en l’année 1688, où il mourut âgé de soixante-quinze ans. C’était un très grand artiste, à la fois très savant et très original. Il avait profondément médité sur son art et il en avait le génie naturel. Colbert se trompait rarement dans ses découvertes d’hommes. C’est sur Claude Perrault qu’il s’est trompé le moins.

Charles Perrault était le plus jeune des cinq frères, étant né en 1628, quinze ans après Claude. Ses mémoires sont écrits avec facilité, bonne grâce, joli tour, air avenant, et avec une complaisance pour leur objet qu’aucune fausse modestie ne gâte ni n’entrave.

On y voit que, tout enfant, Charles Perrault aimait mieux faire des vers que de la prose, « et je les faisais quelquefois si bons que mes régens me demandaient souvent qui me les avait faits. » — On y voit qu’en classe de philosophie il était « le plus jeune et un des plus forts de la classe » et que « la facilité qu’il avait pour la dispute le faisait parler à son régent avec une liberté extraordinaire et qu’aucun autre des écoliers n’osait prendre. »

Au sortir des bancs il lut beaucoup, avec son ami Beaurain (surtout des classiques latins) et, le burlesque étant alors dans toute sa vogue, traduisit le sixième livre de l’Enéide en vers burlesques et composa le poème intitulé : Les murs de Troie ou les Origines du burlesque. À ces deux ouvrages travaillèrent avec Charles, Claude et même un peu Nicolas, le docteur en Sorbonne. Charles Perrault ne fait point difficulté d’admirer fort ces petits ouvrages. Il en trouve l’idée première « très ingénieuse, » estime qu’il y a « d’excellens morceaux » et conclut, ce qui est un trait contre les partisans des anciens, « qu’il ne manque à cette imagination que d’être ancienne pour être