Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/901

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque chose de commun entre elles, et, de mettre en lumière par des moyens qui lui sont propres ces affinités secrètes ou cette parenté primitive, c’est une des fonctions de l’Art, si même ce n’en est pas la fin… »

En effet, Leconte de Lisle s’est trouvé conduit à réaliser d’une manière inattendue, par l’alliance de la Science et de la Poésie, un idéal plus contemporain que celui des plus déterminés partisans de la modernité en art. Il ne s’agit pas ici de soumettre la poésie, ni l’art en général, aux méthodes de la science. Encore moins est-il question, — sous prétexte de modernité, — d’interdire au poète de puiser son inspiration aux sources de la légende ou de la fable. Ce que Leconte de Lisle a pensé, c’est que pour parler, fût-ce en vers, de l’Inde, de la Grèce ou de Rome, peut-être était-il bon de commencer par connaître ces civilisations antiques et, pour cela, de les étudier.

« Vous avez déclaré que la régénération de la Poésie ne peut être opérée que par sa fusion avec la Science, » s’écriait Alexandre Dumas fils en recevant Leconte de Lisle à l’Académie française, « Avec une pareille esthétique, la forme devait être modifiée, pour ainsi dire, de fond en comble. Il fallait que votre langue poétique eût avec l’harmonie, la couleur et la souplesse de la langue de sentiment, la sûreté, la fermeté des termes scientifiques. C’était là le problème à résoudre. Vous l’avez résolu. Vous avez enfermé, quant au métier, les poètes à venir dans des lois rigoureuses dont ils ne pourront plus sortir sans s’évaporer dans le bleu ou se noyer dans le gris. Les élèves de Victor Hugo, après s’être égarés dans les mille chemins que le maître s’est frayés, et que lui seul pouvait parcourir jusqu’au bout, ne parviendront à faire œuvre qui dure, que s’ils reviennent à votre école. »

A côté de cet éloge, Alexandre Dumas, qui conservait contre la philosophie de Leconte de Lisle quelque rancune, avait tenu à apporter ce qu’il considérait comme un blâme : il distingua la facilité géniale des inspirations de Victor Hugo, de l’application réfléchie, de l’étude patiente qui soutiennent l’œuvre de Leconte de Lisle. Mais le poète ne s’en offensa point, il était d’avis que le « don, » sans « l’art, » est insuffisant à faire un « grand poète : »

« Pourquoi, ». dit-il, « Victor Hugo est-il en effet, avant tout, un sublime poète ? C’est qu’il est un irréprochable artiste, car