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exagéré, si l’on peut dire, le caractère du caractère. L’étude des sources où le poète puisa pour écrire ses poèmes grecs, hindous, Scandinaves, finnois, celtiques ou bibliques montre, en effet, que, quand il change quelque chose à son modèle, c’est pour aggraver ce qu’il en considère comme l’esprit : la plasticité et la sérénité, s’il peint la Grèce ; l’indifférence et l’engourdissement, si l’Inde est en jeu ; la barbarie, s’il s’agit des héros Scandinaves ou espagnols ; l’intransigeance de la doctrine, si le Moyen Âge est en cause.

C’est le danger ordinaire de tout ce qui est perpétuellement intense et surhumain de côtoyer à certaines minutes le caricatural. Hugo est souvent tombé dans ce piège. Il est arrivé que Leconte de Lisle l’ait côtoyé. Il n’avait pas peur de ce sourire qui parfois monte aux lèvres après la lecture de telle de ses pièces. Il l’estimait, au contraire, comme un gage extérieur de l’affranchissement de la raison allégée de tous ses liens.

On peut se demander pourquoi un esprit si novateur est allé chercher délibérément dans le passé les sources de son inspiration. C’est que, dès le premier jour, il avait senti que ce n’était pas seulement le génie qui manquait aux poètes de son temps, mais que ce temps même où ils vivaient, et où il vivait à côté d’eux, n’était point favorable à la poésie. Ses sources les plus larges s’étaient affaiblies ou taries ; les élémens de compositions épiques n’existaient plus. Les nobles récits qui, autrefois, se déroulaient à travers la vie d’un peuple, exprimant son génie, et son idéal religieux particulier, n’avaient plus de raison d’être du jour où les races avaient perdu toute existence propre, tout caractère spécial. Dans ces conditions, il s’était dit que le meilleur moyen de féconder l’esprit de ceux qui, d’un si grand naufrage, cherchaient à sauver, — comme Énée sur ses navires, — l’étincelle sacrée de la poésie, était de vivre dans la religion des chefs-d’œuvre anciens.

Mais si Leconte de Lisle a affirmé que l’étude et l’art sont indispensables au poète créateur, il sait que ces efforts ne suffisent pas à lui donner du génie. Qu’il faille y ajouter le don, l’élan prime-sautier, l’auteur du Manchy n’en doute pas. Il considère Corneille comme un vrai poète, parce que le Cid et Polyeucte sont nés « non d’une méditation de douze années, comme celle qui enfanta Athalie, mais d’un élan d’intelligence primitive. »

Quand on lit des vers qui datent de la première jeunesse