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dans leurs premières suggestions, puis dans leurs angoisses funèbres ; en notant la façon dont l’esprit prévenu de ces hommes se laissait halluciner par la vue des victimes que la Moira poursuivait, et le spectacle des lieux où, avant eux, des aïeux maudits avaient commis les crimes irréparables, Leconte de Lisle acquit la certitude que la « fatalité » dont étaient écrasées les familles de ces prédestinés n’était, sans doute, que cette implacable loi des « hérédités » dont la science la plus contemporaine commence à préciser la formule.


III

Il n’y a pas de doute que Leconte de Lisle n’ait éprouvé une satisfaction profonde dans la possibilité que les Erinnyes lui avaient donnée de produire, sur le théâtre, sous un voile de poésie, une doctrine scientifique à laquelle il croyait. Mais il escomptait, comme une joie plus haute encore, l’espoir de produire, sur la scène, cette Apollonide dans laquelle il avait exprimé sa pensée complète sur la Beauté, et sur le culte que les hommes lui doivent. Cette douceur lui fut refusée. Ce fut seulement en 1896, — deux ans après la mort du poète, — que le directeur de l’Odéon monta la pièce qui avait été publiée en librairie douze années plus tôt.

Quoi qu’il en soit, Leconte de Lisle a écrit l’Apollonide pour rendre visible, aux yeux de tous, l’apothéose d’art, de beauté, de poésie dont lui-même était ébloui lorsqu’il fermait les yeux sur le monde extérieur pour se tourner vers l’idéal grec dont il s’était éclairé, et qui vivait en lui. Il s’agissait, cette fois, de conter, allégoriquement, l’aventure la plus chère à son cœur, de représenter la filiation d’Athéna avec l’Olympe par l’intermédiaire d’Ion, fils divin du grand Apollon, Dieu du soleil et des Arts. Le poète avouait que la pièce avait été composée pour faire glorieusement surgir l’éclatante apparition qui la couronne.

Le temple de l’Apollon Delphien s’ouvre, à cette minute, comme la corolle d’une fleur magique, pour qu’à travers ses murs écartés les générations des hommes découvrent la vision de l’Athéna telle qu’elle sera dans l’avenir, telle que, déjà, elle vit dans le rêve des poètes. Non pas celle qui, comme toutes les choses périssables, est montée de la barbarie à la rusticité, de la rusticité à l’harmonie, mais une évocation complète, sublime,