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hors de l’espace et du temps, quelque chose comme une vision platonicienne de l’éternelle Idée, de l’Athéna qui s’est ébauchée dans la durée, au pied de l’Acropole, entre le Parthénon, la géante statue de Pallas, les trirèmes de Salamine, et l’Agora, où parla Démosthènes :


… Dans l’aurore et l’azur,
Emplissant l’horizon de sa splendeur soudaine,
Monte, aux cieux élargis, la Cité surhumaine…
Et la grande Pallas, le front ceint d’un éclair,
Dresse sa lance d’or sur les monts et la mer !…
Enfant ! tu vois la Fleur magnifique des âges
Qui s’épanouira sur le monde enchanté,
La Ville des héros, des chanteurs et des sages,
Le Temple éblouissant de la sainte Beauté.


Et en même temps que ce décor s’illumine, les vraies citoyennes de la Cité surhumaine apparaissent.

Ce sont les Muses, les Vierges sacrées :


Délices du vaste univers,
Aux mitres d’or, aux lauriers verts,
Aux lèvres toujours inspirées.


Elles s’écrient :


A travers la nue infinie
Et la fuite sans fin des temps,
Le chœur des astres éclatans
Se soumet à notre harmonie.
Tout n’est qu’un écho de nos voix,
L’oiseau qui chante dans les bois,
La mer qui gémit et qui gronde
Le long murmure des vivans,
Et la foudre immense et les vents :
Car nous sommes l’âme du monde.


Et ceci est bien la formule définitive de celle religion poétique et lyrique de la « Sainte Beauté » et de l’ « Art parfait, » pour laquelle Leconte de Lisle a vécu. Il a passé sur la terre, dans un temps de critique, de machinisme, d’industrie, comme un Olympien en exil. Il a été vraiment le prêtre de ce Temple éblouissant que la magie de ses vers a évoqué pour toujours, et précisé, dans une apparence incorruptible, entre la terre et le ciel.


JEAN DORNIS.