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Voici d’abord la description du coin de pays, de la ville, de la maison. Ne craignez pas que M. André Hallays décrive pour décrire ! Il a horreur de la manie descriptive qui si souvent a changé récits de voyages ou romans en des « guides » fastidieux. Il procède à la manière du portraitiste. Il sait que, pour qui la regarde comme il faut, une ville est un être vivant : le dessin de ses rues et l’aspect de ses architectures traduisent ses mœurs et révèlent son tempérament. Donc il ne s’en tient pas aux dehors, mais il pénètre plus avant, il atteint jusqu’à la ressemblance morale.

Ces édifices d’autrefois sont charmans par eux-mêmes : ils nous intéressent en outre parce qu’ils sont des témoins de notre histoire. Sur les vieux châteaux, sur les vieux jardins flottent les exhalaisons des siècles. Et les pierres nous content, avec une puissance de résurrection incomparable, tout ce passé, dont elles ont été les contemporaines : il n’est pas de meilleure classe d’histoire que la rue d’une vieille ville. Un château évoque les scènes qui, au cours des âges, s’y sont encadrées, la silhouette des êtres qui y ont abrité leurs ambitions, leurs passions, leurs rivalités, leurs rêves de grandeur et de gloire. Une église, un monastère, un couvent est tout imprégné encore de la piété des générations qui s’y sont agenouillées. Ajoutez que sur cette terre de souvenirs qu’est la France on ne retrouve pas seulement la trace des êtres de chair et de sang qui y ont vécu : elle est hantée encore par l’image des êtres fictifs créés par les écrivains. Poètes ou romanciers, en y plaçant la scène d’un drame ou d’un récit, ont fait illustre une bourgade médiocre, une campagne sans attraits. C’est ici le pays de Ronsard et là le pays de Rabelais. Seuilly, c’est Seuillé, le couvent de frère Jean des Entommeures. Lerné est un village situé à moins d’une lieue. Les gens de Lerné demandent justice à leur roi Picrochole ; et Picrochole n’est autre qu’un certain Gaucher de Sainte-Marthe, seigneur du lieu. Rabelais peint d’après nature. Les racines de son œuvre plongent en pleine vérité, et c’est pourquoi, à le relire en ayant sous les yeux le décor vrai où se meuvent ses personnages, on le comprend mieux, on le goûte plus exactement, on découvre le fond même de son génie. Cette vallée appartient à Balzac. Voici le château où a vécu Mme de Mortsauf. À Montreuil-Bellay, le visiteur est frappé d’entendre un même nom revenir sur les lèvres de. son guide : « Cette porte a été ouverte par M. Niveleau. Ce travail a été exécuté du temps de M. Niveleau. » Qui était donc ce M. Niveleau ? Tout uniment l’original du père Grandet. Balzac l’a connu à Saumur. C’est ainsi que le rêve des grands créateurs « fait