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bien, c’est l’un des procédés, ou des effets, auxquels le jeune compositeur de Monna Vanna a le plus volontiers recours. Il aime à distribuer ainsi les élémens ou les ressources, à régler de cette façon les rapports de l’orchestre avec les voix, du chant avec la parole, du drame avec la symphonie. Il n’y a même que cela de symphonique en sa manière. Pas de développement ou de combinaison thématique, aucun leitmotiv, et l’on ne songe pas à s’en plaindre. Mais plutôt on se réjouirait de trouver dans cette partition, par endroits, un symptôme qu’on peut vraiment aujourd’hui qualifier de nouveau, un signe de simplicité, d’économie et de discrétion, la promesse peut-être d’un art plus sobre et plus léger. Cela sans doute avait paru, percé déjà dans Pelléas, et même, — osons le dire, ou le redire, — la partition de M. Debussy ne nous laisse encore aujourd’hui que cet espoir ou cette consolation. Il s’agit, dans Monna Vanna, de quelques épisodes où l’intérêt, l’expression, la beauté enfin, ne résulte que des moindres moyens : de la parole presque seule, presque nue, mais accentuée avec intelligence, avec émotion, et d’un orchestre qui la souligne, la rehausse et la pare, sans jamais la recouvrir et surtout sans l’écraser. Tels sont, au premier acte, certains aparté de Guido (le mari) et les dernières pages. Tel est surtout le début, tout le début, à l’acte suivant, de la grande scène d’amour. Ce ne sont là, dira-t-on peut-être, que des détails ou des « coins ; » mais j’en aime l’intimité, parfois même la profondeur, et les musiciens d’aujourd’hui nous ouvrent trop rarement de ces agréables refuges. Dans Monna Vanna, j’en ai cru trouver plusieurs à l’audition, et, par la lecture, il m’a paru bon d’y revenir. On sait la belle définition de Vigny : « L’art est la vérité choisie. » En nos jours de profusion vaine, est-ce trop demander qu’un peu de bienveillance, pour une œuvre dont quelques traits sont de choix ?

Dans Monna Vanna, surtout au second acte, on a pris plaisir à regarder les regards mêmes de M119 Bréval, ses attitudes et ses gestes. La voix et le style de M. Muratore (Prinzivalle) menacent un peu, — très peu, — de s’épaissir. Un inconnu, M. Marcoux, est digne de se faire connaître. Il a montré dans le rôle de Guido (le mari malheureux) une mauvaise voix, mais un sentiment original et douloureux. Enfin M. Delmas unit la bonhomie avec la dignité, sous les apparences, parfois difficiles à sauver, du vieux dilettante.


Ernest Reyer est mort, chargé d’années, chargé d’œuvres aussi, car il y a dans Sigurd et dans Salammbô des pages terriblement