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situation indépendante. L’ouvrier qui aime à s’enivrer de temps à autre, pourvu seulement que ce goût ne l’empêche pas de travailler, c’est celui-là qui toujours a chance d’être le plus en faveur, aussi bien auprès de ses camarades que des gens qui l’emploient. Ses camarades ne parlent de lui que comme d’un brave garçon incapable de faire du tort à personne, tandis que son patron lui sourit amicalement, en songeant que la petite faiblesse qu’il lui connaît lui ôtera à jamais la fâcheuse idée de se mettre à travailler pour son propre compte. » Ou bien encore cet aveu, d’une résignation mélancolique : « J’ai toujours été aussi sobre qu’on peut l’être sans appartenir à l’espèce des abstinens complets, et je sais bon nombre de camarades qui sont comme moi ; et cependant ils restent des saisons entières sans trouver d’ouvrage, tandis que le « poivrot » en trouve deux fois plus qu’il n’en peut accepter. »

Quant aux lois nouvelles qui, en Angleterre comme chez nous, sont inspirées du désir d’améliorer la condition de l’ouvrier, j’ignore ce qu’en pensent les collègues français de l’auteur du livre : mais lui, c’est avec une conviction et un sang-froid parfaits qu’il les déclare destinées à rendre la vie de l’ouvrier de plus en plus difficile. Car chacune de ces lois n’est admise par les patrons qu’à la condition de ne leur apporter ni le moindre dommage matériel, ni le moindre ennui en aucune manière : si bien qu’ils s’arrangent toujours pour ne pas être exposés à en subir les mauvais effets. « Quand je me rappelle les facilités de toute sorte que nous avions à ce moment, — écrit notre maçon, à propos du récit de ses premiers travaux, — et quand je les compare avec les innombrables entraves apportées aujourd’hui, depuis l’application des lois nouvelles, au recrutement et à l’emploi des ouvriers, je ne m’étonne pas de ce que disent tous les hommes d’expérience et de réflexion sur la façon inévitable dont ces lois récentes vont aggraver, d’année en année, la misère de l’énorme masse moyenne des travailleurs. »

Mais que l’on ne s’imagine pas, au moins, que l’auteur à qui nous devons ces observations se pique d’être un « sociologue » doublé d’un moraliste, ni surtout que, sous l’apparence de ce « prolétaire, » se cache un homme de lettres professionnel, prenant plaisir à nous effarer de ses paradoxes ! Le maçon anglais, en vérité, ne nous a point révélé son nom, par un sentiment de réserve à la fois très respectable et un peu naïf, tout en ne se faisant pas faute de nommer le village où s’est passée son enfance, ainsi que les nombreux endroits où il a travaillé : mais il n’y a pas jusqu’à l’ordre et au