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la part qu’il s’est librement choisie : car sans être, comme on l’a vu, paresseux, ni buveur, tous ses actes nous révèlent chez lui un goût d’indépendance qui, sans doute, se serait mal accommodé d’un emploi régulier. Toujours est-il que, à seize ou dix-sept ans, le jeune garçon a pris congé du maître d’école dont il était à la fois l’assistant et l’élève ; et puis, après avoir tâté de divers métiers, il est devenu domestique chez un de ses cousins. Là encore, sans qu’il nous le dise expressément, nous avons l’impression qu’il aurait pu s’assurer une vie plus « bourgeoise » et plus lucrative. Son départ, si nous l’en croyions, aurait eu pour cause l’animosité de l’une des filles de son cousin à son égard : mais la vérité est qu’il n’a pu s’astreindre à la monotonie d’une occupation trop réglée. De telle sorte qu’il est revenu à Londres, où nous l’avons trouvé, tout à l’heure, touchant sa première paie d’ouvrier maçon. Brusquement, ensuite, le voici émigré en Amérique ; le voici presque riche, et bientôt ruiné, contraint à mendier sur les routes, à travers les États ! A New-York, il a un ami sur lequel il compte pour se faire avancer le prix de son retour, mais comme, le matin de son arrivée, il a demandé à un passant de lui indiquer le chemin pour se rendre chez son ami, ce passant singulier s’offre à le conduire, et jusqu’au lendemain le promène, sous la pluie, par les rues de New-York, sans doute avec l’espoir de s’installer ainsi dans son affection, et d’être admis à partager la somme espérée !

De retour en Angleterre, notre auteur commence par se marier. Il n’a rien, sa femme est aussi pauvre que lui ; mais tous deux sont pleins de courage, et, en effet, leur tendre affection réciproque les aide puissamment à franchir les dures épreuves que leur réserve la vie. Depuis lors, et jusqu’au jour présent, l’ouvrier poursuit bravement sa carrière, sans espérance de s’élever jamais au-dessus de la gêne, mais parmi des conditions plus favorables d’année en année, grâce à la collaboration de deux fils dont les figures, telles que nous les entrevoyons çà et là, nous ravissent par un beau mélange de libre personnalité intellectuelle et de déférence affectueuse pour leur vieux « gouverneur. » Désormais, grâce à Dieu, le danger d’une misère trop noire parait avoir disparu, et l’ouvrier n’a plus à craindre le retour de ces longues crises de chômage forcé dont le récit vient plusieurs fois assombrir l’atmosphère habituellement souriante et sereine de ses Souvenirs. « Si quelques-unes de nos épreuves étaient presque comiques à force de malchance, nous dit-il, il y en avait d’autres dont la tristesse touchait vraiment à la tragédie. Je connais au monde peu