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Les monumens qu’édifie la musique prennent tout de suite de si vastes dimensions, qu’elle n’aurait pu songer à mettre le Faust de Goethe à la scène tout entier : à moins d’en faire quelque tétralogie. D’autre part, le théâtre exige un sujet lié : un choix d’épisodes détachés ne lui convient pas comme au concert. On devait donc se trouver amené à isoler un des épisodes de Faust, pour le traiter comme une pièce qui se suffît à elle-même ; et c’est ce qu’on a fait communément de l’épisode de Marguerite. On aurait pu, on pourrait encore en choisir d’autres. Quel que fût l’épisode choisi, l’important serait d’y laisser voir comme la pensée du poète éclate, toujours identique à elle-même, dans chaque fragment de sa création. C’est ce qu’on n’a point tenté. On n’a montré que les formes et les événemens qui sont sujet ou objet de cette pensée, mais vidés de toute pensée.

La musique n’a distingué généralement, dans un si grand poème, que la féerie rebattue d’un vieillard qui vend son âme au diable pour se rajeunir, et l’anecdote sentimentale. Schumann alla plus au fond, parut comprendre que le vrai pivot de l’action était ce moment où Faust, ayant sondé successivement le néant de la science abstruse et des passions, et comme jeté sa gourme, s’éveille, et se détourne du soleil levant, non plus désormais pour frapper aux funèbres portes, mais pour éviter l’éblouissement de l’inconnaissable, et n’en considérer que le reflet dans l’action humaine supérieure. À quelque ordre de ses idées ou de ses sentimens que s’attache un musicien, il devrait, pour tendre au vrai but, les orienter sur une évolution pareille. Le danger, — et Schumann ne l’a pas évité, — serait d’atteindre aux régions idéologiques qui sont au-delà de l’émotion pure, au-delà, par conséquent, de la musique. Rien qu’un danger, puisque c’est précisément la philosophie des personnages de Faust que Liszt a su, sans même qu’une parole y fût nécessaire, tourner en musique.

Des exemples si probans offrent aux musiciens d’utiles directions. Ils montrent comment on peut se tromper sur la nature d’un sujet, négliger ce qu’il contient d’intimement musical, et s’attacher indûment aux parties pittoresques ou dramatiques, qui ne lui restent essentielles qu’à la condition d’être profondément traitées.

Et ils apprennent qu’il est indispensable de délimiter