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campagne de personnalités ; celle qui vient de finir fut d’autant plus violente qu’il fallut une ardeur plus artificielle pour l’entretenir. Conséquence de la prospérité générale ou, comme voudraient l’insinuer des publicistes canadiens, contagion des États-Unis, des habitudes de gestion par trop intéressée s’étaient glissées dans l’administration ; le « pot-de-vin » était devenu d’usage constant ; nous savons des financiers d’Europe qui, sur le point de monter diverses entreprises là-bas, furent effrayés des appétits d’intermédiaires qu’il fallait préalablement assouvir ; ce sont mœurs courantes, dans les pays neufs, dont le progrès fougueux a quelques caractères de la spéculation. Mais le Cabinet Laurier n’en est pas responsable ; autour de plusieurs gouvernemens provinciaux, dont les chefs sont des amis politiques de M. Borden, le laisser aller et, pour tout dire, la corruption n’étaient pas moindres qu’autour du gouvernement fédéral ; l’un et l’autre des deux leaders sont au-dessus de tout soupçon, mais on les cite, et c’est bien un signe des temps que le Premier ait dû dire un jour, en réunion publique, « qu’il n’avait jamais tiré de profit particulier de l’exercice du pouvoir. »

Libéraux et conservateurs n’avaient donc rien à s’envier. Une caricature du Montreal Star l’exprimait plaisamment, en octobre dernier : deux chiffonniers, représentant les deux partis aux prises, fouillent dans deux barils d’ordures, conservative scandal barrel et liberal scandal barrel. « J’en tiens encore un ! s’écrie l’un des deux compères. — Je crois, dit l’autre en écarquillant les yeux, que j’en ai trouvé une bien bonne. » Au lendemain des élections, les journaux lauriéristes ont spécifié que la victoire de sir Wilfrid n’implique nullement l’indifférence du pays pour la corruption démontrée de quelques fonctionnaires ou parlementaires ; elle signifie simplement que nul n’a paru mieux qualifié que le leader libéral pour couper court à ces abus. Il n’y manquera pas ; dès le début de novembre, huit jours après les élections, M. Brodeur, ministre de la Marine, suspendait vingt-huit employés, convaincus d’avoir touché des pots-de-vin dans plusieurs livraisons de fournitures, à Québec. Mais les publicistes canadiens relèvent avec beaucoup d’aigreur les protestations vertueuses de certains confrères d’Angleterre : « Comme s’ils n’avaient pas connu ces tares, eux aussi ! » disent-ils.

La majorité de sir Wilfrid demeure solide ; les statistiques attribuent à ses partisans cent trente-cinq sièges, et