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quatre-vingt-six à l’opposition ; on sait cependant qu’en tout pays cette littérature officielle est empreinte d’un optimisme congénital ; les probabilités sont que le ministère possède une avance de trente-cinq à quarante voix sur l’ensemble des opposans et des incertains ; c’est beaucoup, après douze ans de pouvoir ; c’est assez pour diriger la politique, pas assez pour ne pas gouverner sans vigilance et s’abandonner aux mortelles langueurs des Chambres « introuvables. » Les ministres n’oublieront pas que le très ardent et pourtant très judicieux Henri Bourassa, l’enfant terrible des Canadiens français, n’a voulu se prononcer fermement ni pour l’un ni pour l’autre des deux partis, et qu’il travaille à constituer, de droite et de gauche, un groupe indépendant, dégagé de toutes compromissions, résolu à faire surtout l’éducation du corps électoral. Ils auront prêté l’oreille, aussi, à certains discours de sir Richard Cartwright, réclamant des sessions parlementaires plus courtes pour épargner au pays de tomber entre les mains de politiciens de profession… Tout cela, chuchotent des ministrables de demain, veut dire la fin d’un règne, l’avènement d’industriels et d’hommes d’affaires d’Ontario, dont l’âge serait proche après celui de sir Wilfrid et de Québec… Peut-être ; mais alors les hommes seuls changeraient, les directions politiques restant à peu près constantes ; pour le présent, sir Wilfrid, dont la santé chancelante inquiétait ses amis, il y a trois ans, est entièrement rétabli, plus alerte que jamais ; il n’est pas encore au bout de sa carrière politique.

Sa tâche est lourde et passionnante, dans ce Canada qui est en somme, par l’ancienneté relative de son histoire, le doyen des États américains, et qui joint à un respect religieux de tout son passé un sens aigu des nouveautés les plus modernes. Au cours de la campagne, le principal argument des libéraux contre leurs adversaires était un hymne à la prospérité du Canada : population rapidement accrue, moissons débordantes, chemins de fer en construction de tous côtés. Certes, le mouvement est indéniable, le progrès splendide ; peut-être seulement est-on allé un peu vite ; les immigrans devront être désormais mieux triés, les moissons ne se reproduisent pas indéfiniment par une culture simplement extensive, les chemins de fer coûtent cher, et l’on sait qu’un vieux pays riche comme la France a mis plus de vingt ans à compléter son réseau, malgré l’ingéniosité financière des Conventions de 1883. Quelques mois de tassement ne