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anglais, paraît s’être laissé guider par les événemens ; mais, dès son arrivée au pouvoir, le comte de Bülow, dans son premier discours au Reichstag, revendique pour l’Allemagne « sa place au soleil ; » l’expansion allemande au dehors est l’objet de tout son zèle. « Comme les Anglais et les Français, déclare-t-il, nous prétendons à la « plus grande Allemagne. »… Nous ne permettrons pas que l’on conteste ou que l’on limite le droit que nous avons à une politique mondiale réfléchie et raisonnée[1]. » On ne saurait dire qu’il y ait, chez le chancelier, l’intention préconçue de heurter les intérêts anglais, mais tout naturellement l’expansion de l’Allemagne, son immixtion dans des affaires de plus en plus nombreuses, multiplie entre elle et l’Angleterre les « surfaces de friction ; » la Weltpolitik est donc bien la véritable cause de la rivalité anglo-allemande.

L’Empereur est le véritable maître de la politique extérieure allemande ; mais, moins encore que ses ministres, il réussit à en assurer l’unité. Il a manqué, à cet esprit merveilleusement souple et compréhensif, la leçon de l’infortune ; lui, qui n’a pas fait la guerre, il est resté le vainqueur, orgueilleux de sa force, à qui tout doit céder et qui ne cède sur rien ; héritier d’une situation toute faite, dont il a connu la gloire et non pas les périls, il agit en homme à qui sa propre grandeur et celle de son pays est parfois une entrave ; son esprit perspicace discerne les fissures que le temps, les progrès du libéralisme et du socialisme, la persistance incoercible des sentimens nationaux dans certaines parties de l’Empire, ont commencé de faire dans le colossal édifice dressé par la rude main de Bismarck, mais l’œuvre des ancêtres est intangible. L’Angleterre, sans frontières de terre, a des intérêts très simples et très clairs ; l’Allemagne, enfoncée à coups de cognée au milieu de l’Europe, gênée dans ses mouvemens par les blessures qu’elle a faites au cœur de ses voisins, engagée par ses émigrans, par son commerce et sa navigation dans la politique mondiale, a des intérêts multiples et contradictoires ; il lui faut à la fois, pour faire aboutir les desseins opposés et simultanés que lui imposent son histoire et ses intérêts présens, suivre la tradition prussienne d’entente avec l’Angleterre et, en même temps, prendre, aux dépens de cette même Angleterre, sa place dans

  1. Cf. André Tardieu, La France et les alliances. La lutte pour l’équilibre. Alcan, 1909, in-16.