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comme l’un de ses disciples[1]. M. de Lapouge se rattache ouvertement à Darwin et aux penseurs qui ont porté tout d’abord les doctrines darwiniennes dans la science sociale, à Mme Clémence Royer, à Galton, à Broca ; mais il s’est en outre appuyé sur des observations zoologiques et anthropologiques toutes personnelles[2]. Elles l’ont amené à la même conclusion que les premiers ouvriers inconsciens de la thèse germaniste au XVIe siècle, les Boulainvilliers et les Mably. Il y a, dit-il, deux races d’hommes dans tous les pays d’Europe : une race de conquérans et de maîtres par droit d’origine, les Aryens ou Européens (Homo Europaeus) ; une race de vaincus et d’esclaves-nés, les Celtes ou Alpins (Homo Alpinus)[3]. Ces deux races se distinguent non seulement par leur aspect physique sur lequel nous reviendrons tout à l’heure, mais tout autant par leur caractère moral. C’est en vertu d’un décret de nature que l’homme issu d’ancêtres aryens est fait pour commander partout où il se trouve : c’est une fatalité inéluctable de son tempérament qui réserve l’Alpin aux situations subalternes et aux besognes viles. Le « marchand de marrons du coin, » tel est le nom dédaigneux par lequel M. de Lapouge se laisse aller parfois à désigner cet être de second ordre.

L’Aryen, dit-il, ne reconnaît pas de limites à son audace. Toute terre est sienne et ses pères ont à bon droit porté le nom de raptores orbis. Son intelligence s’élève facilement jusqu’au génie : vouloir, pour lui, c’est exécuter sur-le-champ. Logique quand il convient, il ne se paye jamais de mots ; en religion, il est protestant ; le progrès est son besoin le plus intense, et cette disposition d’esprit prépare sa race aux plus hautes destinées[4]. Au contraire, le cette ou l’Alpin, rarement nul, atteint rarement au talent. Prudent, méfiant, mais facile à piper avec des mots, il est l’homme de la tradition et de ce qu’il appelle le bon sens.

  1. Voyez l’avant-propos de la 2e édition de l’Essai sur l’inégalité des races.
  2. Ancien magistrat, M. de Lapouge est venu sur le tard aux sciences naturelles, où il débuta par un travail sur la philogénie des arthropodes qui l’occupent encore aujourd’hui (Polit. Anthr. Revue, VI, 2, 126). Gobineau n’est pas parmi ses premiers maîtres, mais a dû exercer quelque influence sur l’évolution de ses idées après 1894. Voyez dans les Sélections sociales (p. 66-68) le passage très chaleureux qui est consacré à ce précurseur de l’Anthroposociologie.
  3. Une troisième race, qu’on a baptisée Méditerranéenne, ne joue qu’un faible rôle dans les considérations européennes de l’anthropologie sociologique et le sort du monde civilisé paraît se débattre entre les deux premières.
  4. Les Sélections sociales, p. 13-14.