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qu’il est un homme trop sérieux, trop soigneux, trop scrupuleux pour avoir notablement exagéré.

C’est une question de savoir s’il faut dire à un malade la vérité sur son état, lorsque cet état est grave, ou s’il ne vaut pas mieux la lui dissimuler afin de ne pas lui causer une trop forte émotion. Les deux écoles existent en politique comme en médecine. M. le ministre de la Marine n’est pas du nombre des endormeurs, et nous l’en félicitons. Un pays a le droit de savoir, à tout moment, où en sont ses affaires, et son gouvernement a le devoir de l’éclairer à ce sujet : cela est vrai en tout temps, mais l’est encore plus, s’il est possible, sous la République, puisqu’elle est le gouvernement du pays par le pays. Cependant nous ne savons jusqu’ici que d’une manière générale ce que contient le rapport lu par M. Picard au Conseil des ministres sur l’état de notre marine de guerre ; seul, le chiffre de 225 millions qu’il réclame nous est exactement connu ; et nous savons aussi que M. Caillaux a trouvé ce chiffre exorbitant ; il lui a opposé un veto préalable, et a demandé que les agens de son ministère fussent mis en mesure d’exercer une sorte de contrôle sur les élémens dont il se compose. Satisfaction a été donnée à M. Caillaux, ce dont nous n’avons garde de nous plaindre : il serait souvent utile que le ministère des Finances étendit son contrôle sur certains services des autres ministères. Ce contrôle, cependant, ne peut être que financier. Le ministre des Finances n’a pas qualité pour dire si notre matériel de guerre est suffisant ou insuffisant, si nos arsenaux sont convenablement approvisionnés, si nos ports de guerre sont assez profonds : ce sont là des détails techniques qui échappent à sa compétence propre ; il peut les discuter en conseil des ministres avec ses collègues et au même titre qu’eux ; il n’a pas de lumières spéciales pour en décider. Quoi qu’il en soit, M. Caillaux a opposé un rapport à celui de M. Picard, qui en prépare un autre pour répondre à M. Caillaux. Chacun tient bon de son côté, et c’est pourquoi on parle de crise. Si M. le président du Conseil, ou M. le Président de la République ne parvient pas à réduire le dissentiment, qui n’est plus un secret pour personne, entre M. Caillaux et M. Picard, il faudra bien que celui-ci ou celui-là donne sa démission. Mais lequel ?

Nous avons à peine besoin de dire que beaucoup de sentimens divers sont nés autour de cette situation. Les partis sont en mouvement ; ils s’accusent déjà avec acrimonie. Les uns approuvent M. Caillaux de veiller sur nos finances, les autres approuvent