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occidentales, que la commodité d’inventer un complot pour couvrir des opérations d’un autre genre. Mais l’imitation ne lui a pas réussi. La Chambre a montré une vive indignation et l’a sommé de venir s’expliquer devant elle, ce qu’il a refusé de faire immédiatement : de graves occupations l’en empochaient, disait-il, pendant quelques jours encore. La Chambre, impatiente, a voté alors contre lui un ordre du jour de défiance à la quasi-unanimité de ses membres : huit à peine se sont prononcés en faveur du malheureux grand vizir. En même temps, d’autres ministres entre autres Hussein Hilmi Pacha, donnaient leur démission, et l’armée, qui avait fait la révolution, commençait à s’agiter pour la défendre. Un régiment ayant reçu l’ordre de quitter Constantinople et de revenir à Salonique, refusait de s’y conformer, déclarant qu’il ne connaissait que le Parlement et n’obéirait qu’à lui. Tout cela est sans doute très irrégulier à nos yeux d’Occidentaux, et aurait été très dangereux dans tous les pays du monde : il fallait y mettre fin tout de suite, et on ne pouvait le faire qu’en cédant. Le Sultan qui l’avait fait une première fois, on sait avec quelle soumission immédiate et complète, n’a pas hésité à le faire une seconde. Kiamil lui a donné sa démission, qu’il a acceptée. Au fond de cette crise, il y avait une lutte d’influence entre deux fractions du parti révolutionnaire qui, presque dès le lendemain de sa victoire, s’était divisé. C’est ce qui arrive presque toujours en pareil cas : la révolution ottomane, différente des autres à d’autres égards, lui a ressemblé à celui-là. Le comité Union et Progrès a eu bientôt en face de lui le comité de l’Union libérale, mais il s’en faut de beaucoup que le second ait acquis la même importance que le premier. Candidat de l’Union libérale à Constantinople pendant les élections, Kiamil Pacha n’a réuni qu’un nombre de voix tout à fait misérable : il a été littéralement écrasé. Cette leçon, qui aurait dû lui profiter, ne l’a pas fait. Kiamil a cru qu’il serait plus heureux devant la Chambre que devant le corps électoral, et ne l’a pas été davantage. Il y avait sans doute une pensée politique dans le jeu périlleux qu’il a joué ; il trouvait trop fort le comité Union et Progrès ; il voulait lui opposer un contrepoids afin de reconquérir sa propre indépendance et celle du gouvernement. Ayant mal calculé, il est tombé. Nous ne savons ce que sera l’avenir ; peut-être donnera-t-il raison à Kiamil Pacha ; mais la solution qu’il rêvait n’est pas mûre. Le coup qu’il a préparé dans l’ombre et exécuté sans explications se ressentait trop des procédés de l’ancien régime et devait amener le nouveau à se défendre. Il s’est défendu, en effet, et avec tant de succès que le