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une intervention auprès de ce dernier seul peut se produire utilement. Elle le peut sans aucun doute si elle doit unir l’Europe, que le refus opposé par l’Allemagne à la démarche franco-anglaise a failli diviser ; mais, pour être sûr qu’il en sera ainsi, il faut se tourner d’abord du côté de Saint-Pétersbourg. Que penserait le gouvernement russe d’une intervention des puissances auprès de la Serbie ? L’approuverait-il ? S’y associerait-il ? Dans ce donner cas, il n’y aurait pas à hésiter, il faudrait intervenir collectivement à Belgrade. Mais dans le cas contraire, nous devrions nous rappeler que nous sommes les alliés de la Russie, comme l’Allemagne s’est rappelée qu’elle était l’alliée de l’Autriche, et nous abstenir. A la Russie seulement appartiendrait alors le soin de faire entendre, à Belgrade la voix de la prudence et de la raison : en sortant de sa bouche elle aurait d’ailleurs une autorité qu’aucun concours ne pourrait bien sensiblement augmenter.

Le gouvernement serbe ne peut se faire aucune illusion sur les désirs des puissances : toutes veulent la paix ; aucune ne regarderait d’un œil favorable celle qui, grande ou petite, aurait déchaîné une guerre dont la seule pensée fait frémir. Nous ne revenons, pour le retirer, sur rien de ce que nous avons déjà dit. L’acte initial de l’Autriche continue de mériter les critiques que nous lui avons adressées. Cependant, dès le premier jour, une de nos principales critiques a été tirée du fait que l’Autriche avait porté atteinte au droit des gens sans profit appréciable pour elle, car la situation des Balkans restait en réalité la même ; elle n’avait été modifiée que dans la forme et en quelque sorte nominalement. L’Autriche n’est pas aujourd’hui plus forte dans l’Herzégovine et dans la Bosnie qu’elle ne l’était avant l’annexion. Ce que nous disions alors est toujours vrai, en dépit des polémiques qui ont essayé de l’obscurcir. Dès lors, la conséquence se dégage naturellement : c’est qu’il y aurait folie à s’exposer à la guerre, — et à quelle guerre ! — pour un simple mirage d’Orient. Cette pensée devrait nous rassurer complètement, et ne le fait pourtant qu’à moitié. Qui ne se rappelle le mot qui a immortalisé la mémoire du vieil Oxenstiern : « Allez voir, mon fils, avec combien peu de sagesse le monde est gouverné ? »


Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.