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d’Anne Feodorovna, par son mariage avec le grand-duc Constantin. Nous ne pouvons d’ailleurs la suivre au cours de tant d’incidens auxquels font des allusions plus ou moins claires les lettres qu’elle continue à écrire à sa mère. Le moment approche où un événement d’une bien autre importance va livrer son existence à des préoccupations plus poignantes, à des soucis plus angoissans.

Le 6 novembre, l’impératrice Catherine meurt subitement, frappée d’apoplexie. « Ah ! maman, écrit Elisabeth, comment vous annoncer un malheureux événement qui, je le sais, vous causera autant de chagrin qu’à moi : l’Impératrice n’est plus ! elle est expirée hier, à peu près à dix heures du soir. Mercredi matin, elle eut un coup d’apoplexie, elle perdit sur-le-champ connaissance et en a été privée jusqu’à sa mort. Je ne peux vous en parler plus en détail, chère maman ; je vous assure que j’ai peine à rassembler mes idées ; je crois rêver continuellement ; je n’ai presque pas dormi de deux nuits ! »

La douleur de la grande-duchesse n’est que trop légitime. Non seulement, Elisabeth perd une bienfaitrice, une aïeule dont la tendre sollicitude, depuis son arrivée en Russie, ne lui a jamais fait défaut, mais encore elle pressent qu’elle souffrira désormais, dans la personne de son mari, de tous les caprices qu’imposera à ses fils, comme à tous ses sujets, le nouvel Empereur si bizarre, si fantasque, et de tous les changemens que les ressentimens de ce monarque, contre sa mère défunte, vont introduire à la Cour de Russie. L’histoire les a enregistrés. Nous connaissons, avec tous leurs détails, les circonstances qui caractérisèrent l’avènement de Paul Ier et laissaient prévoir que son règne ferait peser sur son empire un régime de terreur.

Ce que nous en savons nous dispense de les reproduire d’après la correspondance de la grande-duchesse Elisabeth et nous n’en voulons retenir que deux ou trois traits propres à justifier les inquiétudes dont cette correspondance nous la montre, à cette heure, dévorée et troublée. Sa situation, désormais, ne sera plus ce qu’elle a été du vivant de Catherine. Héritier présomptif du trône, son mari est maintenant le dépositaire des traditions de la grande Impératrice, avec lesquelles va rompre Paul Ier, et il sera bientôt l’objet des défiances de son père. Le cadavre de la défunte n’est pas encore refroidi, que l’Empereur ne craint pas d’outrager sa mémoire, en exhumant