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sa vie conjugale. La naissance d’une fille, qui malheureusement ne vivra pas, vient accroître le bonheur intime de son foyer, encore qu’il soit trop souvent troublé par les caprices impériaux, par la malveillance que Paul témoigne à son héritier. Une part retombe trop souvent sur la grande-duchesse, à laquelle n’est même plus laissée la faculté d’écrire librement à sa mère.

La tyrannie sans cesse accrue et bientôt persécutrice que Paul exerçait sur sa famille pesait aussi sur ses sujets : elle les avait terrorisés et suggérait aux plus entreprenans d’entre eux le dessein de délivrer la Russie de ce fou couronné. On sait comment, le 12 mars 1801, il périt assassiné. Sa mort, à l’improviste, appelait au trône le grand-duc Alexandre, mais le trouvait abattu physiquement et moralement. Il lui répugnait d’accepter l’héritage de ce trône sanglant, que les assassins lui commandaient de recueillir. D’autre part, convaincu qu’il ne pouvait le refuser, il avait à se défendre contre les ambitions de sa mère qui prétendait s’emparer du pouvoir. « Dans cette nuit de trouble et d’horreur, a écrit le prince Czartorisky, où chacun, chaque acteur, était diversement agité, les uns se glorifiant de leur triomphe, les autres plongés dans la douleur et le désespoir, l’impératrice Elisabeth fut, en quelque sorte, le seul pouvoir qui, en exerçant une influence intermédiaire accueillie par tous, devint un véritable médiateur de consolation, de trêve ou de paix entre son époux, sa belle-mère et les conjurés. »

Rien de plus vrai.

— Je ne veux pas régner, s’était d’abord écrié Alexandre ; je ne peux pas. Je remets mon pouvoir à qui en voudra. Mais sa femme était venue s’asseoir auprès de lui, l’avait enlacé de ses bras, et appuyant son front contre le sien, mêlant ses larmes aux siennes, elle lui représentait les conséquences terribles d’une telle résolution, le désordre qui s’ensuivrait dans tout l’Empire ; elle le suppliait d’avoir du courage, de se consacrer au bonheur de son peuple, de considérer en ce moment son pouvoir comme une expiation, et elle le ramenait ainsi à des résolutions plus dignes de lui.

Elle n’avait alors que vingt-deux ans. Mais son long séjour à la Cour de Russie l’avait précocement mûrie et pourvue d’une sagesse au-dessus de son âge. Impératrice depuis quelques jours à peine, elle écrivait à sa mère : « Oh ! maman ! j’ose dire que