Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

va, surgit l’apparition de la femme dont il a causé la mort : elle est assise dans son rickshaw qu’il connaît bien et qui lui barre la route ; elle est triste et suppliante : « Jack ! Jack, mon ami ! Je vous en prie, pardonnez-moi ! » Elle finit par ne plus le quitter, créature vivante parmi des créatures vivantes, ou ombre parmi des ombres, il ne sait plus. « En quelque lieu que j’allasse, les quatre livrées noir et blanc me suivaient et me tenaient compagnie du seuil au seuil de mon hôtel. Au théâtre, je les trouvais parmi la foule hurlante des jhampanies ; à l’extérieur de la vérandah du cercle, après une longue soirée de whist ; au bal anniversaire, attendant patiemment ma réapparition, et en plein jour, lorsque j’allais en visites. Sauf qu’il ne portait point d’ombre, le rickshaw était sous tous les rapports d’aspect aussi réel qu’un rickshaw en bois et en fer. Plus d’une fois, oui-da, il m’a fallu m’empêcher de crier gare à l’ami lancé à fond de train, qui allait galoper par-dessus le véhicule. Plus d’une fois j’ai arpenté le Mail, en pleine conversation avec Mrs Wessington, à l’indicible ébahissement des passans. » Cependant il continue le cours de sa vie ordinaire, jugé tantôt comme un travailleur surmené, tantôt comme un fou, mais se rendant lui-même un compte exact de son état et dominé par « la sensation de sombre et stupide étonnement que le Visible et l’Invisible se mélangeassent si étrangement sur cette terre pour sonner l’hallali d’une simple et pauvre âme[1]. »

De l’étrangeté à l’horreur, le passage est naturel, insensible : l’imagination aime s’épouvanter de ses fantômes. Il semble que nous ne puissions nous livrer un instant à cette folle sans qu’elle nous emporte aussitôt avec elle dans le champ des mystérieuses terreurs. Si Le rickshaw fantôme nous rappelle le Horla de Maupassant, d’autres contes fantastiques de M. Rudyard Kipling nous ramènent à Edgar Poë. Cette analogie même, qui pourrait tenter les amateurs de parallèles, nous, dispense d’insister sur d’admirables histoires comme l’Étrange chevauchée de Morrowbie Jukes[2]ou La Marque de la Bête[3]. Ces inventions de cauchemar, avec leur détail précis, intense, nous laissent confondus et déconcertés, incapables de reconnaître dans quel monde nous

  1. The Phantom ‘Rickshaw (WEE WILLIE WINNIE). — Le rickshaw fantôme (LE RETOUR D’IMRAY).
  2. Même recueil en anglais. — Trad. fr. : L’HOMME QUI VOULUT ETRE ROI.
  3. LIFE’S HANDICAP. — Trad. fr. : Ibid.