Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop limités. Un dernier progrès était nécessaire. Il a été réalisé par la fondation de la bibliothèque Braille, bibliothèque composée d’ouvrages manuscrits en système Braille, qui, bien qu’elle n’ait encore qu’une vingtaine d’années d’existence, compte déjà vingt-cinq mille volumes. Presque tous ont été écrits par des personnes du monde, des dames surtout, des jeunes filles, qui, chaque semaine, parfois chaque jour, consacrent quelques heures de loisir à préparer des lectures pour les aveugles. Et ces volumes, patient chef-d’œuvre de la charité, sont envoyés dans toutes les directions, à tous ceux qui désirent en prendre connaissance. Partout ils portent la distraction saine et bienfaisante, un éclair de joie dans les ténèbres, le rayon de lumière qui illumine l’intelligence et qui réchauffe le cœur. La bibliothèque Braille distribue encore des journaux et des revues en relief, sans doute assez sommaires, suffisans cependant non seulement pour renseigner les lecteurs de tout ce qui intéresse le monde spécial des aveugles, mais encore pour leur faire connaître les nouvelles politiques, littéraires, artistiques que nul ne doit ignorer.

Grâce à elle on peut dire qu’une abondante nourriture intellectuelle a été mise à la portée de tous les aveugles instruits. Elle a réalisé un progrès considérable. Avant elle, le temps de l’école achevé, ne pouvaient continuer à lire quotidiennement que ceux qui disposaient d’un lecteur. Or, bien rares étaient les fortunés qui pouvaient s’offrir un luxe aussi dispendieux. On ne lisait pas. Aujourd’hui il suffit d’écrire à la Bibliothèque pour se faire envoyer des livres, ou de puiser aux caisses communes qui circulent dans les grandes villes de France. À la sortie de l’école, on est invité à entretenir ses connaissances acquises, à enrichir son esprit. Un fait caractéristique témoigne du progrès accompli : les aveugles qui ont plus de quarante ans lisent presque tous fort mal ; à peu près tous les bons lecteurs aveugles ont moins de quarante ans : ils appartiennent à la génération qui a profité de la Bibliothèque Braille. Les premiers se font lire quand ils en ont le moyen ; les seconds se font lire encore sans doute, mais ils lisent aussi par eux-mêmes, et par suite ils lisent mieux et bien davantage.

On devine tous les bienfaits d’une œuvre pareille. Ils sont tels que nous ne nous lasserons jamais de solliciter en sa faveur toutes les bienveillances. Elle a besoin de s’étendre beaucoup : tous les degrés de la culture intellectuelle sont représentés chez