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tard enseigner, il y avait reçu une instruction sommaire, très insuffisante pour les besoins de son esprit. Aussi fut-il saisi de cette soif de lecture dont je parlais. Il se fit lire avec avidité, et se développa par lui-même. Nommé professeur au sortir de l’école et presque sans préparation, il dut à ses lectures la solidité et l’originalité d’un enseignement très personnel. Il avait un goût littéraire singulièrement délicat. Il n’a rien écrit, moitié par modestie, moitié parce que chez lui l’exécution était très inférieure à la conception. Simplement, courageusement, il a fait une classe primaire pendant trente-cinq ans, jusqu’à la veille de sa mort. Un peu lent d’esprit comme de corps, tout d’abord il réagissait faiblement aux impressions du dehors, mais il était singulièrement concentré, et sa méditation était intense. Quand on avait réussi à percer l’écorce un peu froide chez lui, on rencontrait une pensée très active, un homme d’une grande pénétration et d’une réflexion originale. Il était d’excellent conseil. J’insiste sur cet exemple, parce que M. Bernus, que tant d’aveugles, ses élèves, ont aimé, paraît avoir réuni en lui quelques-uns des caractères les plus saillans qui se retrouvent volontiers dans l’intelligence de l’aveugle.

Louis Braille, nous dit-on, était de la même famille d’esprits : son abord était réservé, sa conversation n’avait pas de brillant ; mais la solidité de sa réflexion faisait rechercher ses avis de tous ceux qui le connaissaient. Dès la jeunesse, sa pensée savait se concentrer avec tant de ténacité sur une idée, qu’à dix-sept ans, après de longs tâtonnemens et bien des combinaisons infructueuses, il avait déjà fixé l’alphabet merveilleux de simplicité auquel son nom est resté pour jamais attaché.

Bon nombre d’aveugles semblent être parvenus à une certaine notoriété par leur culture intellectuelle. Malheureusement nous ignorons en général les conditions dans lesquelles ils se sont développés, les moyens qu’ils y ont employés, et nous manquons de données précises sur leur psychologie. Beaucoup ne représentent guère pour nous que des noms. Tels sont quelques anciens Grecs et Romains, comme ce Diodote le stoïcien, et cet Aufilius dont parle Cicéron dans ses Tusculanes. Didyme d’Alexandrie, qui vivait au ive siècle de notre ère, est un peu mieux connu. Vers la fin du moyen âge, on cite encore quelques savans d’une mémoire remarquable : Nicaise, de Malines ou de Verdun, Fernand, de Bruges, Pierre Dupont, de Paris. Sur