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peine à rivaliser avec les clairvoyans. Dans tout ce que je viens de rapporter il faut voir non un exemple, mais une expérience : une expérience qui, certes, n’étonnera pas les aveugles (eux du moins verront bien que tout ici est fort simple), mais qui leur suggérera peut-être quelques observations utiles sur certaines explications qu’ils peuvent faire de leurs procédés propres de travail. Mais c’est surtout aux clairvoyans qu’elle s’adresse : avec tant d’autres expériences qui se renouvellent tous les jours, elle contribuera peut-être, pour sa petite part, à leur inspirer des jugemens plus équitables sur les aveugles. Il faut tant et tant de faits sans cesse répétés pour lutter contre un préjugé, pour le faire reculer pied à pied, que nous n’en aurons jamais assez. En voilà un parmi tant d’autres : tachons qu’il fasse sa trouée lui aussi dans les rangs ennemis, et qu’il travaille au bien commun.

En terminant, il me reste à m’excuser d’avoir parlé si longuement de moi. Mais si le Moi (celui de Montaigne excepté) est presque toujours haïssable, le lecteur voudra bien me pardonner quand il remarquera que, en dépit des apparences, je l’ai entretenu beaucoup moins de mes travaux personnels que du travail des aveugles en général. Ce que j’ai fait, un autre aveugle l’eût fait à ma place. Nos procédés de travail sont communs à tous. J’ai voulu, par un exemple, montrer la souplesse de ces procédés. Peut-être, après m’avoir lu, comprendra-t-on mieux notre reconnaissance à tous pour l’inventeur d’un alphabet auquel nous devons la majeure partie de notre culture et de nos plaisirs intellectuels.


PIERRE VILLEY.