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fer rouge, il se produit comme un grincement au milieu de la fumée. Cependant, en Serbie, les hommes sages, — il en restait quelques-uns, — sentaient bien qu’on allait aux pires aventures, et, au fond de l’âme, ils ont été reconnaissans à la Russie de les avoir aidés à sortir de l’impasse.

Ici encore, nous demanderons de quoi l’Autriche pourrait se plaindre. N’est-ce pas elle qui a fait comprendre nettement aux Serbes la nécessité pour eux de trouver un appui au dehors, et qui a fait comprendre à la Russie l’opportunité pour elle de fournir cet appui aux Serbes ? Gardons-nous d’incriminer le gouvernement austro-hongrois lui-même ; il n’a pas parlé publiquement et nous ignorons quel langage il a tenu en réalité ; les discours malavisés de deux ministres hongrois n’engagent pas la politique générale du ministère ; mais le langage des journaux a été d’une véhémence, d’une violence extraordinaires, qui devaient faire sentir de plus en plus aux Serbes combien ils avaient besoin d’un tuteur plus fort qu’eux. Le Fremdenblatt, dont on connaît les attaches, s’est distingué dans cette mêlée confuse par la brutalité de ses affirmations. Il a fait savoir aux Serbes qu’ils devaient, seuls, désarmés, humiliés, traiter avec l’Autriche, et que celle-ci ne traiterait avec eux que si, venus à résipiscence, ils déclaraient approuver l’annexion de l’Herzégovine et de la Bosnie et renoncer pour jamais à des compensations auxquelles ils n’avaient aucun droit. L’Autriche verrait alors, dans sa condescendance, si elle devait leur accorder quelques avantages économiques. En somme, le roi Pierre de Serbie devait commencer par aller à Canossa : on connaît le cérémonial de ce genre d’opération. La Serbie a eu des torts dans toute cette affaire ; elle a souvent dépassé la mesure ; elle a émis des prétentions qu’elle n’était pas en mesure de soutenir et que personne n’était disposé à soutenir pour elle, étant donné les conséquences qui pouvaient en résulter ; mais on lui faisait expier tout cela avec une véritable férocité : il est naturel qu’elle se soit, à la première occasion qui lui en a été offerte, jetée entre les bras d’un ami. Les menaces ont continué de plus belle dans la presse viennoise et dans la presse allemande. Quand l’une, peut-être fatiguée, baissait un peu le ton, l’autre l’exhaussait : le concert n’y perdait rien. On se serait ingénié pour mettre de plus en plus la Serbie à la discrétion de la Russie qu’on n’aurait pas procédé autrement, et le jeu continue. L’Autriche a quelquefois montré plus d’habileté.

Les choses étant ainsi, la Serbie n’avait pas deux partis à prendre. Elle a pour ministre des Affaires étrangères un homme sensé,