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Je fis à mon tour une démarche auprès de l’ambassadeur prussien, et lui demandai avec supplications de nous aider à éteindre ce dangereux brûlot. Nous le trouvâmes (et cela l’a perdu auprès de Bismarck) dans les dispositions d’esprit les plus conciliantes. Sans se prononcer sur le fond même du différend, il manifesta un véritable bon vouloir, à ce point que Gramont se crut autorisé à lui demander de l’instruire par télégramme du résultat de son ambassade.


II

Aucun ministre des Affaires étrangères, mis à l’improviste dans une situation aussi épineuse, n’aurait agi avec plus de résolution et en même temps plus de sang-froid et de prudence. Malheureusement, à Madrid comme à Berlin, notre sagesse se heurtait à un plan aussi fortement combiné que résolument exécuté.

Les remontrances avaient été faites et réitérées amplement. A quoi avaient-elles servi ? Si Prim eût laissé l’affaire à l’état confidentiel, nous aurions pu causer, discuter, insister. Mais dans l’impossibilité où il se sentait de répondre à nos objections contre cette candidature anti-française, il s’était hâté de la faire sortir du domaine des entretiens confidentiels et de la convertir au plus vite en un fait accompli, indiscutable et indestructible. Le 4 juillet, il réunit d’urgence les ministres à la Granja sous la présidence du Régent. Tous, y compris celui-ci[1], ignoraient la ténébreuse négociation. Prim la leur raconte à sa façon, en dissimule ou en atténue les dangers, obtient une approbation unanime et le rappel des Cortès pour le 20 juillet. Il estimait à 200 voix la majorité certaine. Quoique averti de notre résistance, il envoie, le 5, au prince Léopold, par le contre-amiral Polo di Bernabé, la décision du Conseil des ministres. Le 6, il la communique par voie télégraphique à tous les représentans diplomatiques, en insistant sur les avantages que trouverait l’Espagne dans son union avec une puissance militaire de premier ordre. Ces démarches signifiaient que nos observations ne seraient pas accueillies, qu’on ne consentirait pas à discuter avec nous et que nous étions en présence d’un parti pris irrévocable.

  1. Séance du 30 novembre 1870.