Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/612

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devant les âmes, doute plus de lui-même, parce qu’il est l’homme qui, renfermé, discret, scrupuleux et par suite timide, mesure toutes les difficultés et par suite les exagère.


Ces angoisses qui venaient à Fromentin de sa nature même n’ont pas été tempérées par ses rapports avec sa famille.


II

Il était fils d’un médecin distingué, savant, philanthrope aussi, qui organisa le premier le service des aliénés à La Rochelle ; mais qu’on ne s’étonnera pas qui fût très bourgeois, très défiant à l’égard de la vie d’artiste et qui, de plus, semble avoir été susceptible et de caractère difficile. Il s’opposait très énergiquement à la « vocation » de son fils, voulait faire de lui un médecin ou un avocat, ou un avocat général, voulait au moins qu’avant de se jeter dans la carrière de peintre, il se fût constitué un état, auquel il pût revenir plus tard comme au port. Il y eut, pour ces raisons, dix ans de conflits domestiques.

En 1845, Fromentin fréquente depuis trois ans, à Paris, où il est venu pour faire son droit, les ateliers des maîtres de ce temps-là. Il revient à La Rochelle passer les vacances ; il montre ses dessins à son père, qui n’en dit rien et qui évidemment n’a rien à en dire… « J’insiste là-dessus, mon ami, pour que vous compreniez bien qu’il n’y a rien à tirer de mon père, ni par les raisonnemens, ni par les preuves. Egalement incapable de comprendre la passion naissante qui m’en traîne et les promesses de talent qu’il peut y avoir dans mes essais, il ne me donnera jamais d’adhésion formelle et ne cédera, s’il cède, qu’à des succès devenus notoires. Seulement, comme il est faible, distrait, et qu’il a peur des luttes ouvertes, il me laissera faire, si je persiste… Je lui imposerai peut-être un certain respect pour mes œuvres en marquant que j’ai quelque estime pour elles. Si je lui avouais le dégoût que me cause ma peinture, je serais à tout jamais perdu dans son esprit ; car mon père n’admet pas qu’on soit jamais mécontent de ce qu’on fait… Au milieu de tout cela, ma mère ne dit absolument rien. Il semble dans la maison que je ne fasse rien et que je sois absolument désœuvré, bien que je ne perde plus un moment de mes journées. Moi qui serais si heureux qu’on s’associât à mes efforts,