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pièges dans un guéret… » Dix et trente-cinq environ donnent près de quarante-cinq. En 1862, Fromentin n’a que quarante-deux ans. On me dira qu’il est possible qu’il ait, en 1864, date de la publication en volume, donné à « Dominique » l’âge qu’il avait lui-même alors à peu près, — non ; car, dans le texte publié par la Revue des Deux Mondes en avril et mai 1802, il y a les mêmes mots : « trente-cinq ans tout à l’heure. » Quoi qu’il en soit, à cause de la différence de ton entre certaines parties de Dominique et certaines autres, j’inclinerais à croire que certaines parties de Dominique ont été écrites avant 1862. En tout cas, il n’est pas douteux qu’il ne l’ait écrit en pleine maturité. La perfection merveilleuse du style l’indique assez. On a vu en passant, par les citations que j’ai faites, que Fromentin jeune écrit quelquefois très heureusement, souvent assez mal. Dominique a été rêvé dix ou douze ans, écrit de 1855 à 1860, risqué et lancé à la mer en 1862-1864.

Telle fut la part de « Madeleine » avant et après sa mort, surtout après, dans la jeunesse de Fromentin. Elle l’isola ; elle le confina dans un rêve tendre et mélancolique, puis douloureux, puis tragique. Rappelez-vous le mot de la lettre d’août 1848, quatre ans après la mort de Madeleine et Fromentin ayant vingt-huit ans : « Est-ce la tristesse et l’isolement profond de ma vie qui m’accablent ? »

Notons cependant que, dans Dominique, « Dominique » fait mention, très inutilement du reste pour l’intérêt du récit, d’une courte aventure galante, d’une passade, comme on disait au XVIIIe siècle, qui se place entre les amours mélancoliques à la Werther et le coup de passion violente de Dominique pour Madeleine. — Notons encore, pour prendre date, ceci, qui serait plus à sa place dans une étude sur Dominique. Dans la réalité, Madeleine est morte ; dans le roman, elle ne meurt pas et c’est-à-dire, chose assez curieuse, que ce qu’un romancier aurait inventé pour être plus touchant, plus dramatique et pour que son roman eût un dénouement, Fromentin qui le trouve dans « l’histoire vraie, » ne le met pas dans son roman. Je crois que Fromentin a eu pour cela deux raisons. Du moins, j’en aperçois deux. D’abord, le héros est plus beau se sacrifiant, rompant avec Madeleine, s’éloignant d’elle, brisant ou enterrant dans son cœur un amour qui n’est plus pour son amie qu’une torture, qu’assistant à la mort de son amie comme tant d’autres dans tant de romans