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tel manuscrit 20 000 francs et tel autre 100 000 à un maître contemporain. Aux écrivains moins connus il propose un droit proportionnel de quelques centimes par exemplaire, avec la garantie d’un tirage minimum à 80 000. La combinaison offrait aux auteurs un bénéfice égal, avec une publicité dix ou quinze fois supérieure à celle qu’ils pouvaient espérer ailleurs. Ils ne se firent donc pas prier pour l’accueillir. Le résultat industriel fut excellent. Certes, l’éditeur sait choisir sa prose ; il la lui faut d’une certaine qualité pour bien mordre sur le grand nombre. Mais enfin, sous la formidable compression de ce laminoir qu’est le bon marché, ces livres à 0 fr. 65 et 0 fr. 95 deviennent à peu près pareils.

Sous l’uniformité des prix, les volumes qui revêtent l’uniforme de la maison se vendent uniformément. Il n’y a pas un écart de 20 000 entre le meilleur roman et le moins bon, entre le plus original et le plus banal, et tous passent aisément 100 000. Les maisons qui réalisent cette combinaison ingénieuse de rapprocher sous leurs machines rotatives le romancier du lecteur, comme M. Armour, de Chicago, rapproche dans ses boîtes à conserves l’éleveur de bestiaux du consommateur de viandes, savent limiter sagement leurs publications, pour ne pas créer elles-mêmes à leur détriment une surproduction qui les accablerait.

J’admets que leurs émules, — car elles en auront, — imitent cette prudence ; il n’en demeure pas moins que l’acheteur s’habituera aux nouveaux prix, que cette poussée nouvelle ne permettra plus guère de vendre à nos neveux les romans au taux où nous les payions naguère et que, si l’auteur y gagne en renommée, ses droits seront fort amoindris ; parce qu’un livre de 0 fr. 95 et de 0 fr. 65, se tirât-il à 100 000, ne peut pas comporter de gros honoraires.

Il peut donc arriver que la marche du commerce et de l’industrie typographique, après avoir enrichi les romanciers dans son premier essor, les appauvrisse par une nouvelle évolution économique.


III

Pour le livre, les frais d’impression sont une charge ; pour la pièce de théâtre, les frais de mise en scène sont un profit. Papier,