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Et Foderé ajoute :

« Cet homme, après cela, était très sensé, et les servans m’assurèrent qu’il n’avait jamais divagué. »

Quelques jours plus tard, Foderé découvrit à l’asile, comme par hasard, deux autres militaires qui étaient couchés par terre sur un peu de paille, dans un cachot obscur, infect et très humide. Ils étaient presque nus. L’un d’eux était aveugle. Ils expliquèrent qu’on les avait placés là parce que l’administration militaire ne savait qu’en faire. D’après les renseignemens recueillis, ces malheureux n’avaient pas donné, depuis leur séquestration, le moindre signe de folie[1]

Légalement, il existait des règles permettant d’obtenir l’interdiction et l’internement d’un aliéné. Il fallait s’adresser aux tribunaux pour réaliser la première de ces mesures ; mais aucune loi n’avait réglementé la seconde. Il arrivait alors tous les jours qu’on amenait des gens dans les maisons d’aliénés sans que les tribunaux aient eu à se prononcer. On y voyait des sujets dont l’internement datait de plusieurs années et dont l’interdiction n’était pas encore obtenue. Ils étaient ainsi, pendant un temps plus ou moins long, dans cette situation incroyable, mais vraie : aux yeux de la loi, ils jouissaient encore de tous leurs droits, alors qu’en fait, ils en étaient déjà entièrement privés. Cela faisait admirablement le jeu de tous ceux qui croyaient avoir droit à la succession du séquestré. Tant que l’interdiction n’était pas prononcée par les tribunaux, tant qu’il n’y avait pas de tuteur légal responsable de la gestion de la fortune de l’interné, ceux qui l’avaient enfermé pouvaient se livrer à la spoliation des biens du malheureux avec la plus parfaite impunité. Sur ce point, comme nous le verrons, la loi de 1838 offre, elle aussi, des lacunes très regrettables. On comprend même pourquoi l’interdiction tardait parfois à être prononcée : plus elle était éloignée, plus les spoliateurs pouvaient se livrer au gaspillage, à la déprédation des biens de leur victime.

La fortune des aliénés, ou supposés tels, n’était pas plus respectée que leur liberté. Quant au traitement des malades, il était avant 1838 d’une barbarie sans nom, excepté à Paris, à Charenton, à Bicêtre, à la Salpêtrière, où il commençait à s’humaniser un peu sous l’influence aussi bien de renseignement de

  1. Loc. cit., p. 430 et suivantes.