Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/687

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaître le rôle du régime alimentaire, du travail, des distractions dans la vie journalière des aliénés. Mais la vulgarisation médicale de toutes ces connaissances psychiatriques a été fort lente, et la loi de 1838 a été faite sans en tenir le moindre compte. Il est certain que l’opinion publique d’alors était encore moins éclairée que celle d’aujourd’hui sur tout ce qui touche au problème de l’aliénation. Même à l’heure qu’il est, beaucoup de personnes appartenant aux classes cultivées de la société sont persuadées que « la folie est toujours incurable. » Ceux qui ont fait la loi de 1838 n’ont pas pensé autrement et je ne citerai comme preuve que cette déclaration du comte Portalis : « Nous ne faisons pas une loi pour la guérison des personnes menacées ou atteintes d’aliénation mentale. »

C’était là un aveu dépouillé d’artifice. Pourquoi avoir alors parlé, dans l’article premier de la loi, de la création d’établissemens destinés à recevoir et à soigner les aliénés ?

Enfin, au sujet de la fortune des aliénés internés, la vieille loi, par son article 31, règle l’administration des biens des pensionnaires des établissemens publics. Elle laisse libres, par son article 32, les ayans droit (parens, époux, épouse, le procureur, le tribunal) de faire ou de ne pas faire nommer un administrateur provisoire des biens de toute personne non interdite placée dans un établissement public ou privé

L’incertitude de cette disposition législative laisse le champ libre à toutes les cupidités qui peuvent se manifester autour d’une personne atteinte d’une maladie du système nerveux.

A cet égard, la situation actuelle des aliénés riches n’est pas mieux sauvegardée que du temps où sévissaient les chaînes et les cages. Aussitôt que l’un d’eux est mis dans un établissement spécial, les parens les plus proches restent pendant un temps plus ou moins long les maîtres absolus de tous ses biens, meubles et immeubles. Pour peu qu’ils aient des intentions intéressées, et le fait se produit souvent, ils se livrent à un partage comme si le malheureux n’existait plus. C’est à peine si ces « héritiers prématurés » laissent un capital suffisant pour entretenir d’une façon convenable dans la maison de santé leur parent malade. Quand on arrive à l’interdiction, une grosse partie de la fortune s’est volatilisée sans qu’il soit possible de l’établir d’une façon légale… Le tour est joué, et bien joué…