Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/708

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nietzsche, apparaît avant tout comme miroir musical du monde, comme mélodie primordiale, qui recherche une image de rêve parallèle et exprime celle-ci dans le poème. La mélodie est donc la matière première et universelle. Elle est, pour le sentiment naïf du peuple, l’élément prépondérant, essentiel et nécessaire. De sa propre substance, la mélodie engendre le poème. » Quelque chose d’analogue se passa dans l’ordre qui nous occupe, celui du motet, et cette fois encore on pourrait dire que « c’est l’air qui fait — ou qui fit — la chanson. »

Il commença par la faire à deux voix, pas davantage, et latine, et liturgique seulement. Mais bientôt arriva ce qui ne pouvait manquer de se produire : la forme s’enrichit, ou se compliqua, le latin céda la place à la langue vulgaire et l’intérêt de la musique pure absorba jusqu’au souvenir de la liturgie.

Premièrement la partie de motet proprement dite se dégage de plus en plus du ténor. Ce n’est pas tout : une nouvelle partie, le triplum, s’ajoute à la partie de motet. Et cette partie surnuméraire, après avoir tendu, par degrés, à l’indépendance non seulement poétique, mais rythmique et mélodique, achèvera, vers la fin du XIIIe siècle, de la conquérir. Elle constitue alors une mélodie, un chant, libre de toute attache autre que celle des relations élémentaires de l’harmonie de ce temps. « Au-dessus de la gravité habituelle de la partie de motet, le triple déroule ses broderies mélodiques, élégantes et légères, il joue le rôle de la flèche ajourée qui s’élève au-dessus de la cathédrale gothique. »

Une chose aujourd’hui nous étonne, c’est que dans cette élaboration, dans cette évolution d’une forme ou d’un genre, la création individuelle ne fut jamais, tant s’en faut, la première des lois. « Le moyen âge n’eut pas, sur les œuvres de l’esprit, les mêmes idées que notre époque. Tandis qu’à notre jugement, la propriété artistique et littéraire est un principe aussi consacré que la propriété des choses matérielles ; tandis que, d’autre part, le créateur d’une œuvre, écrivain ou artiste, met l’originalité de sa conception au rang des qualités qui font le prix de cette œuvre, le moyen âge ne semble avoir eu à aucun degré ce double sentiment de l’originalité de la pensée et de la propriété intellectuelle. Au contraire, il paraît qu’en de multiples circonstances le plagiat, un plagiat conscient et avoué, ait été la règle… Il est rare qu’au fond d’une chronique ou d’un texte annalistique, la critique ne découvre point le texte d’une chronique plus ancienne ou celui d’un autre annaliste. Toute la littérature de farcitures ou de centons est le produit d’une telle conception. » De même, dans les motets du