Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui n’est suivie d’aucun effet. Loin d’être ralenti, le mouvement gréviste a été accéléré par ce geste impuissant. La grève n’a pas tardé à être maîtresse de tout et partout. Des désordres ont eu lieu, des délits ont été commis : le gouvernement, par un dernier simulacre d’énergie, a traduit quelques comparses devant les tribunaux et les a fait sévèrement condamner. Mais il s’est bien gardé de prononcer une seule révocation contre les principaux et les vrais coupables : il s’est borné à quelques suspensions. S’il avait été finalement le plus fort, ces suspensions, ou du moins quelques-unes d’entre elles, auraient été changées en révocations : comme il a craint d’être le plus faible, elles ont été purement ridicules. On ne saurait caractériser autrement le fait de suspendre des gens qui se sont mis en grève, c’est-à-dire qui se sont suspendus eux-mêmes jusqu’au moment précis où ils ont bien voulu reprendre le travail, et de leur faire fête alors comme à l’enfant prodigue ? Il en a d’ailleurs été des jugemens comme des suspensions : on a vu bientôt, qu’on nous pardonne la familiarité du terme, que tout cela n’était que pour la frime. Le gouvernement n’avait agité sur la tête des grévistes que des foudres de carton : celles qui grondaient sur la sienne étaient plus sérieuses.

C’est alors qu’il a eu à s’expliquer devant la Chambre. M. Clemenceau étant indisposé, le poids de la discussion est retombé sur M. Barthou, ministre des Travaux publics et des Postes. On peut regarder comme négligeable l’intervention quasi posthume de M. le sous-secrétaire d’État, qui n’était déjà plus qu’une ombre. Il faut rendre justice à M. Barthou, il a fait bonne figure à la tribune ; il a parlé très éloquemment, et ceux qui l’ont entendu, frappés de l’énergie de son verbe, ont pu se faire un moment l’illusion qu’ils avaient devant eux le représentant d’un gouvernement à la hauteur de sa tâche. Il ne l’était qu’oratoirement. L’orateur auquel M. Barthou répondait, M. Charles Dumont, s’était plaint que toutes les délégations d’ouvriers ou de fonctionnaires qui, depuis quelque temps, avaient été en rapport avec un membre du ministère, n’avaient pas eu le sentiment qu’ils discutaient avec lui « d’égal à égal. » « Une égalité de cette nature, a déclaré M. Barthou, serait l’expression, la forme à peine dissimulée de l’anarchie, et, pour ma part, je ne saurais m’y prêter. » Voilà qui est bien, et ce n’est pas le seul passage de ce discours qui mérite d’être approuvé. M. Barthou a très exactement qualifié l’acte commis par les grévistes. Après avoir rappelé les motifs, ou les prétextes, de la grève : « On ne crée pas, s’est-il écrié, pour des raisons de cette nature la situation intolérable dans laquelle nous nous