Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/731

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se rendait compte de l’émotion qu’avait dû exciter en France une nouvelle qui ne l’avait pas médiocrement surpris lui-même ; il croyait toutefois que nous avions peut-être un peu trop pris à cœur un fait dont les conséquences ne lui semblaient pas avoir la gravité que le gouvernement impérial lui attribuait ; il regrettait que Gramont eût tenu à Werther un langage aussi énergique ; il se demandait si l’attitude que nous avions cru devoir prendre n’était pas faite pour créer précisément des complications plus sérieuses que celles qui résulteraient de l’incident lui-même. Cependant, allant « au plus pressé, » il déclara « qu’il était prêt à user de toute son influence auprès de l’Espagne et de la Prusse, non pour leur dicter des résolutions, mais pour les prier instamment de prendre en sérieuse considération tous les côtés graves de la question qui se posait (7 juillet). » Singulier langage ! Si les questions dynastiques avaient été de si peu de conséquence en Espagne, pourquoi Palmerston menaça-t-il Louis-Philippe de la guerre dans le cas où le Duc d’Aumale deviendrait le mari de la Reine, et manifesta-t-il tant de courroux quand Montpensier fut devenu celui de l’Infante ? Granville lui-même serait-il resté insensible et muet si on était venu lui annoncer que le prince Napoléon allait être élu roi d’Espagne[1] ?

Gladstone, à qui La Valette exprima son regret de l’attitude peu empressée de Granville, répondit : « Il faut commencer froidement. Nous ne savions rien de l’affaire dont il s’agit, et nous n’en connaissons pas encore les détails. » Ils commencèrent, en effet, très froidement, avec force circonlocutions et réserves. Ils chargèrent leurs ambassadeurs à Berlin et à Madrid de donner des conseils de prudence, en évitant de discuter le droit de l’Espagne de choisir son souverain et de paraître exercer une pression sur l’Allemagne, ou d’admettre que l’avènement d’un Hohenzollern justifiât le recours immédiat aux armes dont menaçait la France. « Le gouvernement de Sa Majesté, écrivait Granville à Loftus, a certainement l’espoir que ce projet qu’il avait ignoré jusque-là n’a reçu aucune sanction du Roi. Il pensait que le Roi découragerait ce projet rempli de dangers pour la péninsule. Le Roi, dont le règne a procuré un agrandissement si grand à son pays, a maintenant une occasion signalée d’exercer une magnanimité sage et désintéressée, qui aura l’effet

  1. Granville à Loftus, 6 juillet.