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jamais été fort partisan ; que, sans en ordonner ou en conseiller le retrait, il avait insinué, d’une manière transparente, qu’il serait enchanté que ses parens en prissent l’initiative et que, dans ce cas, il approuverait immédiatement leur résolution. Dès sa première audience, il avait informé Benedetti de son interrogation ù Sigmaringen. Benedetti n’avait donc pas eu à gagner ce qui lui était concédé d’avance dans l’esprit du Roi. Cette vanterie inutile n’accroît pas le mérite de sa négociation, mérite, d’ailleurs, très réel.

Faire accepter, sans le blesser, des paroles dures, par un roi très chatouilleux, être ferme sans être obséquieux ou mou, c’est ce que Benedetti a su faire et, ne serait-ce que par là, il s’est montré à la hauteur des diplomates les plus remarquables. Mais il a eu d’autres mérites. Harcelés par l’opinion et par nos propres inquiétudes, nous l’avions éperonné, pressé d’être énergique, et il avait su résister à nos impatiences, ne compromettre par aucune imprudence le but qu’il poursuivait. Il avait ainsi obtenu d’abord de négocier, ce qui était considérable après la prohibition de Bismarck, puis avait arraché au Roi des aveux précieux. « S’il avait posé un ultimatum, il nous aurait fait perdre les avantages que nous assurait la conduite déloyale tenue à notre égard à Berlin et à Madrid[1]. » Il ne se contenta pas de rester prudent lui-même, il nous mit en garde contre les entraînemens. Il sut non seulement exécuter avec tact ses instructions, mais aussi ne pas suivre celles qu’il jugeait imprudentes. Ainsi, Gramont lui en ayant envoyé de nouvelles sur les dispositions de Serrano, il avait pris sur lui de ne pas s’en servir et de redresser la distraction de son ministre : « Vous savez que le Roi prétend que nous sommes uniquement fondés à demander au gouvernement espagnol de revenir lui-même sur la combinaison qu’il a conçue, et Sa Majesté n’aurait pas manqué de prendre prétexte de ce que je lui aurais dit pour insister dans ce sens. »

Cette première partie de la négociation d’Ems restera comme une des bonnes pages de notre histoire diplomatique. Elle eut une conclusion fort désagréable pour Bismarck : l’envoi par le Roi de Werther à Paris. Le Roi, malgré les insistances de son ministre, avait traité avec Benedetti dans deux audiences ; on

  1. Benedetti à Gramont, 12 juillet.