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l’on donnait, à Bruxelles, 21 francs par tête à des « compagnons » qui chantaient, devant l’archiduchesse-gouvernante des Pays-Bas des « chansons à plaisir » (1527) ; tandis qu’en 1700 le premier soprano du duc de Savoie était payé 6 700 francs par an.

Nous ne savons ce que Richelieu donnait à la « signora Léonor, » une « virtuosa » qu’il avait fait venir d’Italie, ni ce que de Nyert, le chanteur préféré de Louis XIII, honoré de l’état de premier valet de chambre, ou Lambert son élève, se faisaient à la Cour ; mais, à la fin du règne de Louis XIV (1713), le premier ténor, — haute-contre, — recevait 6 000 francs par an à l’Opéra, et le premier sujet féminin du chant y était payé 18 000 francs à l’époque de la Révolution.

Aujourd’hui le premier ténor de l’Opéra gagne 150 000 francs et, lorsqu’il atteint un certain niveau de célébrité, ses tournées en Amérique lui rapportent, en six mois, trois fois autant. Aucune scène n’est plus assez riche pour se l’attacher à demeure. Sans sortir de Paris, la concurrence des théâtres de drame et de comédie a fait monter le taux d’engagement des acteurs notoires à des prix inconnus de leurs devanciers, je ne dis pas sous l’ancien régime, mais seulement au milieu du XIXe siècle. Tel, qui excelle aujourd’hui dans la farce, reçoit 80 000 francs par an, tandis que son père, qui n’était pas moins aimé dans cette partie, se contentait de 14 000 francs il y a quarante ans. De simples divas d’opérette ont un cachet journalier de 500 francs, et la comédienne la plus favorisée peut recevoir, en neuf mois, 230 000 francs de son directeur.

« Je perds 500 francs par jour à rester ici, » disait plaisamment un acteur renommé, en quittant la maison de Molière. En effet, les seuls artistes qui n’aient pas augmenté depuis Louis XVI sont les sociétaires de la Comédie-Française, dont le maximum actuel ne dépasse pas 36 000 francs, tant en traitemens fixes et en « feux » qu’en participation aux bénéfices. De 1780 à 1789 le nombre des parts était peu différent d’aujourd’hui, — 23 au lieu de 29, — et la part, qui oscilla pendant ces neuf années de 23 000 à 43 000 francs, valut en moyenne 34 500 francs, non compris les feux et diverses gratifications annuelles. Cette rémunération privilégiée s’expliquait par le monopole dont les « Français » de jadis étaient investis ; mais on ne s’expliquerait pas comment les « Français » d’aujourd’hui, avec des appointemens restreints, peuvent conserver des « étoiles, » si l’on ne