Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/828

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ses réflexions s’enchaînent fort logiquement tandis que les choses semblent aller au hasard. On ne peut faire plus spirituellement de l’ordre avec du désordre. Dans l’Arbitrage, c’est encore un récit adressé au public, un monologue d’esclave, qui nous fait connaître d’abord les remords de Charisios. Celui-ci vient de comprendre la faute qu’il a commise et ses conséquences, il a surpris en même temps une conversation qui lui a révélé les nobles sentimens de sa femme, si durement traitée par lui. Ce qu’il dit et ce qu’il fait, nous l’apprenons par ce monologue de son esclave. C’est un accès de repentir qui touche au désespoir, un véritable orage dans une âme généreuse et passionnée. Et cet orage serait effrayant, si celui qui le décrit ne nous amusait par la peur qu’il en ressent ; il fallait beaucoup d’adresse pour assortir et fondre ensemble ces deux tons si contraires. Le récit est comique par celui qui le fait ; il est tragique par la matière dont il est fait. La tragédie y est forte, bien que la comédie y prédomine comme il convient.


IV

Tout cet art, comme on le voit, est fait essentiellement d’un sens vif et profond de la vérité. Il n’est donc pas étonnant qu’en dernière analyse l’excellence de la comédie de Ménandre soit due surtout à la représentation des mœurs et des sentimens.

De la variété très riche et passablement confuse de la vie athénienne, la comédie, dans les deux premiers tiers du IVe siècle, avait réussi à dégager un certain nombre de types. C’est du moins ce que l’histoire littéraire croit démêler en étudiant les débris qui nous en restent. Types professionnels, tels que ceux qui ont été mentionnés plus haut ; types sociaux, déterminés par le rang, la fortune, la manière de vivre ; types naturels, résultant de l’âge et du sexe, des relations ordinaires entre membres d’un même groupe, ou encore de certaines situations que le cours de la vie ramène plus ou moins fréquemment ; enfin, types mélangés, où ces divers élémens étaient associés. Mais, autant que nous pouvons en juger, aucun des poètes renommés de cette période, ni Antiphane, ni Anaxandride, ni Alexis, n’avait réussi à créer des personnages fortement caractérisés par quelques-uns de ces traits, originaux et individuels, qui sauvent de