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contentaient d’être de libres génies, ils resteraient en marge des institutions et n’auraient qu’une place médiocre dans la France officielle, qui était alors toute la France. Ces grands écrivains, d’où le XVIIe siècle tire à nos yeux son principal lustre, n’ont été que d’humbles comparses à la cour de Louis XIV.

Non pas parce qu’ils étaient sans naissance et sans biens ; mais parce qu’ils étaient « gens de lettres, » au lieu d’être quelque peu maîtres des requêtes, intendans de finance, conseillers au parlement, capitaines de chevau-légers ou aumôniers de prince, voire écuyers de vénerie ou de volière. Racine en fournit un exemple typique : Louis XIV et Mme de Maintenon l’envoyaient chercher « pour être amusés par son entretien ; » il a « des privances » avec le Roi qui, afin de l’entendre lire Plutarque à haute voix, le fait coucher dans sa chambre.

Quelle inconvenance ! « Un homme venu de rien ! » s’écrie un contemporain scandalisé. Or, nombre de subalternes que le caprice royal, depuis Henri IV jusqu’à Louis XVI, a métamorphosés en ministres et en grands seigneurs, n’ont pas été de plus haute extraction que Racine. Mais, pour celui-là, il n’est point d’un métier à pousser sa fortune plus loin que l’honneur de la conversation familière. Encore doit-il prendre garde à ne pas aborder les sujets politiques qui ne le regardent pas. Racine le fit un jour, au péril de sa faveur ; il osa coucher par écrit quelques idées justes sur le gouvernement qui déplurent, et il fut sèchement remis à sa place : « Parce qu’il est grand poète, dit Louis XIV, veut-il être ministre ! »

Cette ironie prête à rire, dans un sens tout opposé à celui où l’entendait le monarque de 1698 dont les choix, en fait de ministres, sont connus à cette époque pour avoir été assez malheureux. De sorte que ces conseillers patentés ne semblent vraiment avoir eu, sur un esprit tel que Racine, d’autre avantage que le brevet. Le pauvre grand homme pourtant accepta la leçon ; il demeura navré de son intrusion dans un domaine interdit et nous le voyons, derrière les charmilles de Versailles, combiner avec Mme de Maintenon un recours en grâce qu’interrompt le bruit d’une calèche : « C’est le Roi que se promène, cachez-vous. » Et Racine se sauva dans un bosquet.

L’État contemporain, issu d’un parti, a des favoris encore parmi les gens de lettres ; à ceux de « son parti » il réservera les menues distinctions, le panache qui se donne par décret, y