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sont. Ils apportent dans l’action où ils se mêlent tout ce qu’il y a en eux de caractéristique et de vraiment intéressant. Et, naturellement, chacun d’eux prend ainsi une certaine unité, car il découvre alors les traits essentiels de sa nature. Mais il n’est pas nécessaire que tel ou tel de ces traits ait un relief exceptionnel ni une sorte de prédominance absolue, enveloppant l’être moral tout entier, ni qu’il paraisse enraciné dans l’âme à tout jamais, comme la misanthropie chez Alceste ou l’avarice chez Harpagon. Cela peut se produire parfois, mais cela n’est ni ordinaire dans la vie ni indispensable au théâtre. L’individualité dramatique peut résulter d’une disposition passagère, qui rassemble momentanément des élémens de vie morale ordinairement isolés ou latens et qui les tire de leur demi-obscurité naturelle. Il en est souvent ainsi chez Ménandre, et c’est une des choses par où son théâtre ressemble à la vie.

Ceci est particulièrement sensible dans la manière dont il s’est servi de l’amour. On savait de tout temps quelle importance ce sentiment avait prise dans la comédie nouvelle et spécialement chez lui. On se rappelait ce qu’Ovide avait dit dans un vers souvent cité :


Fabula jucundi nulla est sine amore Menandri.


Les nouveaux fragmens ont naturellement confirmé ce témoignage. Mais ce qu’ils nous apprennent ou nous font mieux voir, c’est la relation de l’amour dans ses pièces avec les caractères des personnages. Dans un théâtre comme celui de Molière, où les caractères sont très fortement accusés, et surtout dans celles de ses pièces où ils le sont le plus, l’amour intervient généralement comme une cause de perturbation, qui met l’homme en contradiction avec lui-même et par-là fait ressortir plus fortement l’habitude morale qui le caractérise. Tel est son rôle chez Alceste, chez Harpagon, chez Tartuffe. Dans cette conception, l’amour est postérieur en date au caractère, et, moralement, il lui est subordonné, même quand il le domine. C’est le contraire qui semble avoir eu lieu en général chez Ménandre.

Représentons-nous le Polémon de la Femme aux cheveux coupés ou le Charisios de l’Arbitrage, avant qu’ils fussent troublés par la passion. Qu’étaient-ils alors ? des personnages quelconques, sans individualité bien marquée. Polémon est un soldat de fortune, brave garçon au fond, mais emporté, rude et capable