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Ménandre est sans doute l’écrivain qui s’en passe le plus souvent. Bien entendu, ce n’est pas qu’il jette les idées au hasard, mais c’est qu’il les laisse se suivre, comme si elles naissaient peu à peu, et qu’il se met en quelque sorte au pas d’une pensée plus ou moins rudimentaire, dont il suit la marche, sauf à la redresser furtivement.

On pourrait penser, il est vrai, que l’abondance des sentences qu’on a extraites de ses œuvres s’accorde mal avec ces observations. Etait-il naturel que tant de jolies choses fussent si bien dites dans la conversation ? Mais, justement, nous comprenons mieux ce qu’il faut penser de ces sentences depuis que nous en lisons un assez grand nombre dans leur contexte. Là, ces pensées générales, resserrées en formules spirituelles ou touchantes, parfois si profondes et si largement humaines, se montrent sous un aspect relatif et particulier qui en change sensiblement le caractère. Elles perdent ce qu’elles avaient, étant isolées, de didactique et de doctrinaire. Elles sont amenées si naturellement par le mouvement des idées auxquelles elles tiennent qu’elles semblent nécessaires là où elles sont. Bien loin que le morceau dont elles font partie paraisse jamais composé pour elles, ce sont elles au contraire qui sont subordonnées à ce morceau et qui semblent n’avoir de raison d’être que par lui. Jamais elles ne s’en détachent comme des phrases à effet. Même lorsqu’elles se trouvent dans la bouche de gens très simples, personne ne peut avoir l’impression qu’elles n’y soient pas à leur place. Elles y tiennent lieu souvent d’un raisonnement qu’ils seraient incapables de faire. N’est-il pas vrai que l’homme peu exercé à penser a souvent plus de facilité à énoncer l’idée générale qui le préoccupe qu’à la détailler en argumens ou à en développer le contenu par l’analyse ? Et d’ailleurs, ce mode de réflexion convenait sans doute particulièrement à un peuple de sagesse traditionnelle, dont l’éducation se faisait à entendre les vers des poètes moralistes et qui s’était ainsi habitué à rapporter les choses de la vie à des préceptes généraux. Chez lui et pour lui, les nouvelles formules de l’expérience ne devaient-elles pas surgir d’elles-mêmes avec les occasions, à l’imitation des anciennes ?