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gardent moins rancune à la France qu’à son gouvernement, et que, en dehors des catholiques, l’opinion se laisse volontiers persuader, selon la version radicale, que, dans son long duel avec l’Eglise, notre gouvernement n’a fait que se défendre contre les entreprises ou les complots d’adversaires incorrigibles.

Pour relever partout notre prestige moral et restaurer, aux yeux des peuples, notre influence ancienne, il suffirait, à la France du XXe siècle, de se montrer plus respectueuse des principes dont, en théorie, elle prétend toujours s’inspirer. Notre langue serait la première à en bénéficier. A vrai dire, elle passe au dehors, depuis déjà des années, par une crise qui en menaçait gravement l’expansion. Longtemps, en Occident comme en Orient, notre langue française fut la langue des salons et des cours, celle que ne pouvait ignorer aucun homme, aucune femme bien élevés. De même que le latin était l’idiome ecclésiastique ou savant, le français était l’idiome mondain, l’organe cosmopolite de toutes les aristocraties. Cette prédominance établie au XVIIe et au XVIIIe siècle, les révolutions du XIXe l’ont ébranlée, ces révolutions, préparées à la fois par nos armes, par nos écrivains, par notre langue. Il sembla, un moment, que les idées apportées par notre Révolution allaient se retourner contre notre langue qui en avait été l’instrument, de même que, sous le premier et sous le second Empire, elles s’étaient retournées contre la puissance française. Le français allait-il être détrôné de sa royauté aristocratique et de sa souveraineté internationale par le double mouvement issu de notre Révolution, par l’avènement d’une démocratie dédaigneuse de la haute culture mondaine, par l’ascension de jeunes nationalités d’un nationalisme ombrageux, jalouses de la suprématie d’un idiome étranger ? La langue préférée de Frédéric II et de Metternich courait ainsi un double danger ; et ce serait nous faire illusion que de croire tout péril écarté d’elle. Si les nouvelles démocraties nationales sont contraintes de s’avouer que les langues populaires ne sauraient toujours suffire à tout, qu’il faut aux peuples modernes, à la place de l’antique latin, un idiome supranational, interprète commun de la civilisation, leurs goûts simplistes, leur défaut de sens littéraire, leurs réciproques jalousies risquent de les porter, par méconnaissance de la supériorité des langues spontanées, vers quelque informe et barbare Espéranto.

Par bonheur pour nous, les deux puissances nouvelles dont