Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/844

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mouvement eût sans, doute pris une force et une ampleur singulières, si la brusque annexion de la Bosnie n’était venue réveiller passagèrement les anciennes défiances de ces frères séparés.

C’est ainsi que, à plus d’un demi-siècle de distance, nous avons vu, en juillet dernier, les représentans de sept ou huit nationalités slaves se rassembler en congrès « panslave » à Prague, « la Prague dorée » des légendes, pour y préparer de futures réunions périodiques et y étudier tout un plan d’institutions communes. Là, spectacle nouveau pour l’Europe, on a vu, aux applaudissemens de tout ce vaste monde slave, les délégués des Polonais donner publiquement la main aux représentans de Moscou, et, pour la première fois, depuis les trois partages, l’aigle blanche de Pologne, saignant encore de sa longue captivité, fraterniser avec l’aigle noire des tsars russes. Autrefois, aux temps héroïques de 1848, lors de leur premier Congrès de Prague, les délégués des Slaves n’avaient pu s’entendre qu’en se résignant à parler dans leurs séances la langue de l’oppresseur, du niémets détesté, l’allemand. Un demi-siècle plus tard, en ce deuxième congrès de Prague, il n’en a plus été de même ; ils ont pu se comprendre en se servant d’un des idiomes issus du tronc slave commun, du russe officiel, de l’harmonieuse et souple langue grande-russienne.

En 1908, à ce congrès panslave, dirigé, avec autant détalent que d’autorité morale, par le chef du parti jeune-tchèque, M. Karel Kramarj, un véritable homme d’État, que nous nous honorons d’avoir eu pour élève à notre libre École des Sciences Politiques, la plupart des orateurs, les Slaves du Sud notamment, se sont exprimés en russe. Les Polonais, il est vrai, ont souvent tenu à se servir de leur langue nationale, demeurée si voisine du tchèque qu’elle était aisément comprise de leurs hôtes de Bohême ; mais, pour être plus sûrs d’être entendus des autres Slaves, les Polonais mêmes se sont décidés à recourir, eux aussi, à cette langue « moscovite » qu’hier encore leurs pères se faisaient un patriotique devoir d’ignorer. Il y a là une nouveauté qui mérite d’être signalée à l’Europe ; le russe tend à devenir l’idiome intermédiaire, comme la langue commune des peuples slaves. Il a déjà un domaine plus vaste que le vieux slavon d’Eglise, qui ne s’est conservé que dans la liturgie orthodoxe. C’est là un succès dont les Russes peuvent être fiers ; leur langue en va prendre dans le monde une importance nouvelle et