Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/863

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’aux peuples grandis sous la loi chrétienne. De quel droit interdire à d’autres d’accommoder avec le Coran des institutions que, somme toute, les chrétiens n’ont pas découvertes dans les Évangiles ? Déprimés et abaissés par un despotisme étouffant, les Turcs ont beau, comme les Magyars, être venus des steppes de l’Asie, ils ont assez souffert de l’absolutisme pour ne voir de salut que dans la conquête de droits politiques. Pour le Turc musulman, de même que pour ses voisins orthodoxes de Russie, un régime libéral, loin d’être à coup sûr un dissolvant, peut bien être un tonique et un reconstituant ; mais à une condition, que ni Turcs ni Russes ne doivent oublier, c’est qu’ils sachent l’appliquer avec prudence et avec une patiente sagesse.

Ces jeunes Ottomans qui se tournent vers l’Europe, étant Turcs et prétendant demeurer Turcs, ils voudront faire à leur langue nationale, à leur asiatique idiome touranien, à leur écriture sémitique empruntée de l’arabe, une part de plus en plus large dans l’enseignement, dans la banque, dans les affaires comme dans le gouvernement et l’administration. Il se peut ainsi que, au lieu d’être stimulée par la révolution turque, l’expansion du français en soit ou en paraisse plutôt arrêtée. Dans toutes les institutions ottomanes ou étrangères, gouvernementales ou privées, dans les collèges ou les écoles, de même que dans les chemins de fer et les grands établissemens financiers, les Jeunes-Turcs s’efforceront de faire prévaloir la langue officielle de l’Empire. Ils y apporteront d’autant plus de zèle qu’ils considèrent la suprématie de leur langue comme le symbole et le ciment tout ensemble de l’unité de l’État. Ce qu’on doit souhaiter pour le bien de la Turquie nouvelle et pour la paix de tous ses peuples, c’est que cette tendance des Jeunes-Turcs soit contenue en de justes bornes, qu’ils sachent se montrer assez politiques pour que leur patriotisme ottoman et leur légitime amour de la langue de leurs ancêtres ne les entraînent pas à faire violence aux sentimens et aux habitudes des différentes nationalités chrétiennes ou musulmanes. Grecs, Slaves, Arméniens, Albanais, Arabes, sont presque également passionnés pour les droits de leur langue maternelle. Les Grecs, orgueilleux héritiers de Platon et de Chrysostome, ont déjà exprimé, à cet égard, leurs inquiétudes et leurs prétentions[1]. Les Slaves, Bulgares ou Serbes,

  1. Voyez par exemple les derniers numéros du journal l’Hellénisme et la brochure de M. Kasasis : Les Grecs sous le nouveau régime ottoman. Paris, 1908.