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novices. » Il est probable que la méthode qu’elle appliqua dut donner de bons résultats, car son directeur, M. Singlin, la pria de lui en rendre compte par écrit. Telle fut l’origine de ce Règlement pour les enfans que Jacqueline rédigea en avril 1657, et qui est parvenu jusqu’à nous.

Avouons-le : à le lire de nos jours, ce Règlement nous paraît singulièrement sévère. Ni l’auteur du Traité de l’éducation des filles, ni celui de l’Introduction à la vie dévote ne l’eussent volontiers signé. C’est à proprement parler un Règlement de religieuse et à l’usage des religieuses non même pas futures, mais actuelles. Quelque prévenu que l’on puisse être contre le laisser aller, le relâchement d’épicurisme qui s’introduit dans les habitudes pédagogiques et dans les mœurs contemporaines, quelque convaincu que l’on soit qu’ascétisme et moralité sont choses inséparables, et qu’on ne saurait de trop bonne heure inculquer cette juste notion à l’enfance, il y a une limite à tout ; et cette limite, la pédagogie janséniste en général, et celle de Jacqueline en particulier l’ont souvent dépassée. Cui non risere parentes… On ne riait pas à Port-Royal, et l’on y proscrivait même le sourire. La règle la plus étroite, la plus minutieuse et la plus dure ; peu de jeux et peu d’ébats ; peu de variété dans les exercices et dans les lectures ; beaucoup de travail et beaucoup de prières ; une perpétuelle surveillance sur soi-même ; l’âme tout entière absorbée et comme ensevelie dans la méditation d’ « une grande pensée triste, » et toute la volonté tendue à la poursuite du salut personnel ; voilà le régime que l’on imposait à des enfans d’une dizaine d’années. Pauvres petites âmes si comprimées, si sevrées de tout plaisir et de tout rayon ! On se sent pris pour elles d’une sorte de pitié rétrospective, et l’on en veut un peu à Jacqueline d’avoir si étrangement interprété — ou méconnu — le Sinite parvulos. Comme son frère Blaise, et comme presque tout Port-Royal, elle n’a pas eu le sentiment de la diversité des vocations individuelles[1].

  1. Le premier éditeur du Règlement pour les enfans l’a si bien senti qu’en l’imprimant à la suite des Constitutions du monastère de Port-Royal du Saint-Sacrement (Mons, Gaspard Migeot, 1665), il l’a fait précéder d’un court Avertissement qui est bien curieux à relire : « Quoique ce Règlement des Enfans ne soit pas une idée, mais qu’il ait été dressé sur ce qui s’est pratiqué à Port-Royal des Champs pendant plusieurs années, il faut néanmoins avouer que, pour l’extérieur, il ne serait pas toujours facile, ni même utile de le mettre en usage dans toute cette exactitude. Car il se peut faire, et que tous les enfans ne soient pas capables d’un si grand silence et d’une vie si tendue, sans tomber dans l’abattement et dans l’ennui, ce qu’il faut éviter sur toutes choses ; et que toutes les maîtresses ne puissent pas les entretenir dans une si exacte discipline, en gagnant en même temps leur affection et leur cœur, ce qui est tout à fait nécessaire pour réussir dans leur éducation. C’est donc à la prudence à tempérer toutes ces choses, et à allier, selon la parole d’un Pape, une force qui retienne les enfant sans les rebuter, et une douceur qui les gagne sans les amollir. »