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par des volontés particulières. » Éliminer à tout prix, de la surface du monde, tout élément miraculeux ou exceptionnel, tel a été, pendant cette période, l’objet des historiens aussi bien que des savans et des romanciers ; et peut-être n’y a-t-il pas une seule des grandes figures de l’histoire, religieuse ou profane, à qui l’on n’ait tenté d’ « appliquer » l’art issu de cet esprit nouveau. Mais les révolutions intellectuelles, et les périodes qui les suivent, sont toujours fatalement condamnées à n’avoir qu’une durée passagère. De même qu’elle avait remplacé la conception « romantique, » il était inévitable que la conception « réaliste » finît, à son tour, par s’user et par disparaître. Une de ses dernières manifestations, en matière d’histoire, a été la Vie de saint François d’Assise de M. Paul Sabatier, parue aux environs de 1890 ; et encore M. Sabatier semble-t-il avoir bien compris la difficulté qu’il y aurait pour lui, dès cette date, à « humaniser » trop ouvertement la figure enchantée du Poverello. Bien loin de la réduire aux proportions ordinaires de notre nature, — ainsi que l’avaient fait auparavant les Karl Hase et les Edmond Scherer, — il faut voir avec quel soin il s’est attaché à l’élever et à la grandir, ne cessant point de la mettre en opposition avec son entourage, ni de substituer, aux petits miracles accidentels de ses biographies de jadis, le prodige constant de sa beauté morale et de son action historique. Depuis lors, du reste, la déchéance de l’esprit « réaliste » s’est encore sensiblement accentuée. De plus en plus, savans et artistes se sont aperçus qu’il y avait, dans les lois naturelles, une part de « contingence » qui avait échappé à l’observation de leurs devanciers : tandis que, par ailleurs, ils se trouvaient amenés à constater, de plus en plus clairement, que leur connaissance présente de ces lois était trop fragile et trop incomplète pour pouvoir être invoquée, comme un argument a priori, contre la possibilité des manifestations même les plus inexplicables. Des forces imprévues se sont révélées, à la fois dans l’ordre des sciences physiques et dans celui des sciences de la vie, qui nous ont contraints à garder une attitude plus réservée que celle de nos pères, en face de phénomènes dépassant la portée habituelle de notre expérience. Et peu s’en faut que, dès maintenant, les « applications » les plus parfaites de cet art « scientifique » de la génération précédente nous semblent aussi irrémédiablement surannées que celles de l’art « romantique » de Michelet ou d’Henri Martin.