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choisie ; mais, au premier coup d’œil jeté sur la salle, on apercevait des élémens d’un autre ordre, des grévistes d’hier et de ces fonctionnaires qui sont plus réellement des ouvriers. M. Chardon, maître des requêtes au Conseil d’État, a pris le premier la parole, et, comprenant la nécessité pour lui de se rendre favorable tout son auditoire, il a fait entendre sur les députés et sur les ministres quelques vérités bien senties. « Quel que soit le député, s’est-il écrié, il ne doit pas être le maître de sa circonscription. » Les applaudissemens ont été unanimes. Ils l’ont été encore lorsque M. Chardon a dit que les ministres n’étant que les représentans d’un parti destinés à être remplacés par les représentans d’un autre, sans compter qu’ils changeaient eux-mêmes quelquefois d’opinion, ne devaient pas être omnipotens sur une administration qui était la chose commune de tous les citoyens, sans acception de partis, sans considération de personnes. C’est une idée fausse, d’après M. Chardon, de croire que le pouvoir est concentré entre les mains d’une douzaine de ministres. « Chaque employé de l’État, lorsqu’il exerce ses fonctions, devient lui-même le gouvernement. Ainsi, quand le président de la République chasse par un temps de neige et qu’un garde lui dresse procès-verbal, c’est bien le garde qui incarne l’autorité, de même que c’est le gardien de la paix lorsqu’il dresse une contravention contre le président du Conseil dont l’auto file à une vitesse trop rapide. » Ce sont là des hypothèses bien indiscrètes, bien hardies ! Mais si les paroles de M. Chardon étaient peu révérencieuses, ses intentions étaient pures : il l’a prouvé en concluant que ces fonctionnaires, dépositaires de la puissance publique, avaient des devoirs à côté de leurs droits et que, en aucun cas, ils ne devaient se mettre en grève. Aussitôt interruptions violentes, cris, huées, tempête ; la table qui servait de bureau a été à demi renversée ; les carafes et les verres d’eau ont été se promener dans l’auditoire, et, pour une première fois, le président a déclaré la séance levée, ce qui ne l’a pas empêchée de continuer. On a entendu alors M. Grangier, postier révoqué, M. Nègre, instituteur révoqué, d’autres encore, généralement révoqués, eux aussi, mais dont le nom est moins notoire. Finalement les députés, qui décoraient l’estrade, ont été pris à partie. « Nous sommes dégoûtés du Parlement, leur criait-on. Le Parlement n’entend rien à nos affaires. A bas les quinze-mille ! Vive la grève ! Nous ne voulons pas du statut. Le droit commun nous suffit avec l’affiliation à la Confédération générale du Travail. » Bientôt le tumulte a été à son comble. Alors le citoyen Pataud, jouant des coudes, a fait son apparition sur l’estrade, au milieu de bravos frénétiques. La