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Aux partis qui ne veulent et d’ailleurs ne peuvent créer aucune jouissance nouvelle, mais prétendent seulement mieux répartir les anciennes, il serait inutile d’objecter que si l’on avait fait le partage de celles qui existaient en 1790, le profit de l’opération eût été dérisoire, même pour les plus pauvres ; tandis que la production de biens nouveaux par la science les a tous enrichis d’un héritage quasi surnaturel. Ces politiques vous répondraient que la question n’est pas là, que l’on n’a rien fait tant que l’on n’a pas diminué l’écart entre les conditions humaines.

L’histoire des budgets privés est seule capable de nous éclairer là-dessus, de montrer si le progrès économique, qui n’égalise pas du tout les « fortunes, » égalise au contraire les « jouissances » et, par suite, réalise sans violence et sans bruit ce nivellement du confortable que des législateurs bienfaisans se flattent d’obtenir à coups de bâton. De sorte que cette histoire des comptes de ménage, à laquelle on eût refusé naguère le nom même d’histoire et que l’on eût traitée de statistique anecdotique, répond assez bien aux préoccupations contemporaines pour prétendre marcher de pair avec le récit des combats, des conspirations, des négociations, des meurtres et des amours de vingt-cinq rois qui ont occupé le trône de France depuis Philippe-Auguste jusqu’à Louis XVI.

La succession des événemens ou des actes par lesquels ces princes ont signalé leur passage n’ont eu pour la plupart, sur la vie privée de leurs sujets, qu’une assez fâcheuse influence. Les vues d’ambition familiale des descendans de ce seigneur parisien qu’était Hugues Capet, poursuivies avec une inlassable persévérance à l’encontre de leurs voisins, ont agrandi leur fief qui a fini par devenir la France moderne ; le besoin de fortifier leur pouvoir personnel à l’intérieur a transformé les vassaux, les bourgeois et les manans du plat pays en « sujets » uniformes ; de quel prix les générations passées ont payé la paix au dedans et la guerre au dehors, l’histoire s’en est médiocrement enquise. Mais ces changemens territoriaux et politiques n’affectaient que le « citoyen ; » l’homme privé, beaucoup plus important que l’homme public, s’en ressentait peu ou point.

Et de vrai, ce n’est ni par règnes, ni par siècles que l’on devrait chiffrer l’histoire pour marquer les étapes de l’humanité, pour apprécier en quoi l’individu d’une certaine date ne res-