Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui le nomma sans scrutin. A peine fut-il entré dans le Parlement que sa première pensée fut de s’enfuir bien loin de Westminster. Pendant un an, il voyagea autour du monde et, quand il revint, après avoir erré sur toutes les mers et traversé plusieurs continens, c’est à ses paysans de Whittingehame qu’il s’en vint conter ses impressions de touriste. Il ne prononce son maiden speech que deux ans après avoir mis le pied dans la Chambre des Communes et ce maiden speech ne lui vaut aucun de ces complimens et de ces pronostics flatteurs dont les leaders du parti adverse font volontiers l’aumône aux débutans. En 1878, il accompagne à Berlin, en qualité de secrétaire particulier, son oncle, lord Salisbury, qui du ministère de l’Inde a passé aux Affaires étrangères, lors de la retraite de lord Derby. C’est là que l’Angleterre reprend, sans coup férir, la place qu’elle avait tenue en 1815 dans les conseils de l’Europe. La splendide impertinence de Disraeli fait rentrer dans l’ombre l’insolence brutale de Bismarck et montre au jeune secrétaire un grand homme d’Etat qui a derrière lui un grand Empire. Disraeli n’est pas cet homme-là, mais il joue le rôle en comédien consommé, comme un chef d’emploi du Théâtre-Français. Ce spectacle fait rêver Arthur Balfour et, de son côté, Disraeli a comme une intuition de l’avenir réservé au jeune homme. De retour à Londres, on l’entend quelquefois dans la Chambre des Communes. Il parle successivement, — ceci est caractéristique, — pour et contre les femmes ; il soutient leur droit à l’égalité d’éducation avec les hommes, combat leurs prétentions à l’égalité devant le scrutin. Il propose une loi pour garantir aux non-conformistes ce qu’on pourrait appeler la liberté du cimetière : sujet funèbre qui, je ne sais pourquoi, a la propriété de mettre en verve les hommes d’esprit du Parlement. L’un d’eux est Beresford-Hope, un autre oncle de M. Balfour. Il contredit et taquine son neveu, pour l’obliger à parler, étant une des très rares personnes qui croient à l’avenir politique du député de Hartford. M. Balfour veut empêcher le ministre anglican d’imposer sa présence et ses rites à la dépouille d’un homme qui a professé le christianisme sous une forme un peu différente. « Que l’Eglise y prenne garde ! Si elle s’obstine dans cette politique égoïste et arrogante, ses jours sont comptés. »

L’avertissement est sévère, mais ce n’est qu’un avertissement non une déclaration de guerre. En 1879, M. Balfour a publié un