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fut le cas en Angleterre. En tous pays elle est la préface du socialisme ou, plutôt, elle est déjà un demi-socialisme.

C’est là ce qui devait perdre lord Randolph Churchill, et M. Balfour s’en aperçut à temps. Mais il ne se sépara de cette politique que quand elle eut donné tous ses fruits. De 1881 à 1885, le quatrième parti fit des merveilles et, au lieu de les comparer aux Cinq, j’aurais peut-être mieux fait de les comparer aux trois mousquetaires de Dumas et à leur ami d’Artagnan. Sans cesse sur la brèche, ils se multipliaient, toujours prêts, semblait-il, sur toutes les questions de politique étrangère ou de politique intérieure, et même sur les questions religieuses, comme dans la fameuse affaire Bradlaugh, où il se dépensa plus de théologie que le Parlement n’en avait entendu depuis les jours lointains du Rump.

M. Balfour prit souvent la parole, mais il était loin de produire le même effet que son brillant leader, lord Randolph, le noble démagogue. Un jour, il eut son succès d’hyperbole. Il s’agissait de ce qu’on a appelé le traité de Kilmainham. Parnell était en prison à Dublin, et le gouvernement lui avait fait quelques ouvertures, en vue d’obtenir par certaines concessions son concours pour pacifier l’Irlande à l’heure de sa libération prochaine.

Aux applaudissemens frénétiques de ses amis, M. Balfour déclara ce traité « unique dans son infamie. » Pourquoi unique et pourquoi infâme ? C’est ce que je n’ai jamais pu comprendre, mais il paraît que c’était un crime, pour un ministre de la Reine, de s’entretenir avec Parnell, car M. Gladstone s’en défendit, la main sur le cœur et sur la conscience, comme si on l’avait accusé d’avoir dérobé les diamans de la Couronne pour les donner à une fille du promenoir de l’Empire. « Unique dans son infamie ! » J’ai tenu à citer ce mot parce qu’il constitue, à mon sens, le seul péché oratoire de M. Balfour. Il déteste l’hyperbole et donnait, récemment, une verte leçon à ceux qui en usent et en abusent. Il a raison : les mots exagérés conduisent aux actes excessifs, à moins qu’ils n’aboutissent à une ignominieuse retraite. Ils font quelquefois la fortune d’un orateur ; ils ruinent la réputation du debater. Or c’était, visiblement, le genre de talent auquel aspirait M. Balfour. Dans son Journal du Parlement, qui sera précieux pour l’histoire, M. Lucy écrivait à propos de lui, vers la fin de cette période : « Arthur Balfour n’est pas orateur,